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BLEAK-HOUSE

Jamais je n’oublierai la sensation que cette lettre produisit à Greenleaf. Que de bonté de leur part de s’intéresser autant à une pauvre orpheline, et qu’il était généreux au Père céleste qui ne m’avait pas oubliée, de m’aplanir ainsi la voie et d’incliner vers moi tous ces excellents cœurs ! Je pouvais à peine supporter le chagrin que mon départ leur causait ; non pas que je regrettasse de les voir pleurer, mais le plaisir, la tristesse, l’orgueil, la joie, la gratitude et les regrets se mêlaient tellement en moi que je crus un instant que mon cœur allait se briser.

Je n’avais plus que cinq jours à passer auprès d’elles ; chaque minute ajoutait de nouvelles preuves d’affection à celles dont on m’avait comblée, et quand, le matin du départ, elles me firent visiter toute la maison, m’arrêtant à chaque pas pour me dire : « Embrassons-nous ici, où vous m’avez parlé avec tant de bonté la première fois que je vous ai vue ; dites-moi adieu près de mon lit où vous m’avez consolée ; écrivez mon nom sur ce livre, ajoutez que vous m’aimez ; quand elles se pressèrent autour de moi, m’offrant chacune un souvenir, et s’écriant, baignées de larmes : « Que deviendrons-nous sans notre Esther ? » Quand je voulus leur exprimer à mon tour combien je leur savais gré de leur indulgence, de leur bonté pour moi, les vœux que je faisais pour elles, la reconnaissance que je leur gardais à toutes, comme mon cœur fut attendri !

Et quelle émotion n’ai-je pas ressentie quand les deux miss Donny me témoignèrent autant de regrets que mes compagnes et mes élèves ; quand les bonnes vinrent me dire : « Soyez bénie, miss, partout où vous irez ; » et que le vieux jardinier boiteux, qui ne m’avait jamais remarquée, du moins à ce que je pensais, courut après la diligence, et, me donnant un bouquet de géraniums, me dit tout haletant que j’avais été la joie de ses yeux ? Comment retenir mes larmes à la vue des petits enfants de l’école agitant leurs chapeaux et leurs mouchoirs sur mon passage ; à l’aspect d’un vieux gentleman à cheveux blancs et de sa femme, dont j’avais fait étudier la petite-fille, qui passaient pour les gens les plus fiers du pays, et qui oubliaient leur orgueil pour me crier : « Adieu, Esther, et puissiez-vous être heureuse ! » Comment s’étonner alors de me voir repliée sur moi-même au fond de la diligence, tandis que je m’écriais au milieu de mes sanglots : « Que je vous suis reconnaissante ! que je vous suis reconnaissante ! »

Cependant, je compris que je ne devais pas arriver tout en pleurs où j’étais attendue ; on aurait pu se méprendre sur la cause de mes larmes, et, après tant de bontés qu’on avait eues