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M. Georges répond froidement d’un signe de tête et ajoute : « Continuez, monsieur Smallweed, ce n’est pas pour me dire ça que vous êtes venu.

— Toujours gai, toujours plaisant, répond l’avare ; quelle aimable société que la vôtre ?

— Allez, allez, monsieur Smallweed.

— Cher monsieur Georges ! mais vous avez là un sabre qui est terriblement tranchant et qui brille d’une façon… ne pourrait-il pas blesser quelqu’un, par hasard ? je tremble rien que de le voir, monsieur Georges. Maudit soldat ! ajoute l’excellent homme en s’adressant tout bas à sa petite-fille, pendant que le maître d’armes s’éloigne pour déposer son sabre. Il me doit de l’argent et pourrait bien songer à s’acquitter de sa dette en se débarrassant de moi par quelque mauvais coup. Encore si votre furie de grand’mère était ici ! il pourrait au moins lui trancher la tête, Judy. »

M. Georges revient auprès de la cheminée, croise les bras et, du haut de sa grande taille, regarde M. Smallweed qui s’affaisse peu à peu sur lui-même.

«  À présent, venons au fait, lui dit-il.

— Oui, oui ! s’écrie M. Smallweed en riant avec malice. Oui, au fait ; mais à quel fait, mon cher monsieur ?

— À celui qui vous amène, » répond l’ancien soldat qui s’assied, prend sa pipe sur le coin de la cheminée, la bourre, l’allume et se met tranquillement à fumer.

Déconcerté par tant de calme et trouvant fort difficile d’aborder le sujet dont il voudrait parler, M. Smallweed finit par tellement s’exaspérer, que, dans sa rage impuissante, il fend l’air de ses griffes sous l’impression du violent désir qu’il éprouve de déchirer le visage de M. Georges ; et comme ce vénérable vieillard a les ongles longs et plombés, les mains décharnées, les yeux gris et vitreux, et qu’il glisse de plus en plus sur sa chaise, il présente un spectacle si affreux, même aux regards de sa petite-fille habituée à son visage, que cette jeune vierge fond sur lui avec plus d’emportement que de tendresse et le tapote, le secoue, le pétrit dans toutes les parties du corps, principalement à la gorge, au point que le vieux ladre en bondit comme la demoiselle d’un paveur en retombant sur la pierre.

Quand, à l’aide de ces différents moyens, Judy est parvenue à l’établir sur sa chaise le vieil avare, qui a le nez glacé, la figure livide, mais qui continue toujours à déployer ses griffes, elle étend son doigt ridé, et frappe M. Georges entre les deux