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BLEAK-HOUSE

— J’l’ai su hier dans l’après-midi, à l’heure du thé, répondit l’agent de la maison Coavinses.

— Et vous n’en avez pas perdu l’appétit, pas éprouvé de malaise ?

— Pas un brin. J’savais que, si je vous manquais aujourd’hui, je ne vous manquerais pas demain ; un jour de plus ou d’moins, c’est pas ça une affaire.

— Mais aujourd’hui, continua M. Skimpole, c’était une belle journée : le soleil brillait sans nuages ; le vent avait d’harmonieux soupirs ; la lumière et l’ombre des effets magiques, et les oiseaux chantaient.

— Personne ne dit l’contraire, répondit Coavinses.

— Assurément, reprit M. Skimpole ; mais à quoi pensiez-vous, sur la route ?

— À quoi ? grommela Coavinses d’un air profondément irrité ; j’ai ben trop d’choses à faire et trop peu à gagner, sans qu’j’aille encore penser…. Penser ! ajouta-t-il avec mépris.

— Alors, vous ne vous êtes pas dit à ce propos : « Harold Skimpole aime à voir briller le soleil, à entendre le vent souffler et gémir, à regarder les effets changeants de la lumière et des ombres, à écouter les oiseaux, ces choristes divins du temple de la nature, et je vais priver Skimpole de la part qu’il a dans tous ces biens, son unique héritage. » Vous n’avez pas songé à tout cela, Coavinses ?

— As-su-ré-ment non ! répondit celui-ci en articulant avec colère chacune de ses syllabes, et en accompagnant le mot non ! d’un signe de tête assez violent pour disloquer un cou moins solidement attaché.

— Singulière chose, que la manière dont l’intelligence procède chez vous autres hommes d’affaires, répliqua M. Skimpole d’un air pensif ! Merci, mon ami, et bonsoir. »

Comme notre absence avait été assez longue pour que l’on pût s’en étonner, je m’empressai de retourner au salon, où Éva travaillait auprès du feu et causait avec son cousin John. M. Skimpole revint bientôt nous rejoindre, et Richard quelques instants après. Le reste de ma soirée fut consacré à ma première leçon de trictrac, jeu favori de M. Jarndyce, et que, par conséquent, je voulais apprendre le plus tôt possible, afin de pouvoir faire sa partie quand il n’aurait pas d’autre adversaire. Toutefois, en écoutant M. Skimpole jouer et chanter quelques-unes de ses compositions avec cette grâce qui lui était particulière, ou causer avec cet abandon, cette aisance qui donnaient tant de charme à sa conversation, je ne pus m’empêcher de faire cette remarque