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n’en est pas moins tourmentant ; et remarquez bien, dit mistress Rouncewell en se levant, qu’on ne peut pas se dispenser de l’écouter. Milady, qui ne s’effraye de rien, l’admet comme tout le monde. Quand il existe, il faut absolument qu’on l’entende ; rien ne peut l’empêcher d’arriver jusqu’à vous. Il y a derrière toi une grande horloge française qui a été placée là tout exprès, dont le mouvement fait beaucoup de bruit quand elle va, et qui a une musique ; tu sais, Watt, comment la faire marcher ?

— Oui, grand’mère.

— Eh bien, remonte-la un peu. »

Watt remonte à la fois l’horloge et la musique.

« Viens ici, maintenant, dit la femme de charge ; ici enfant, tout près de l’oreiller de milady. Je ne suis pas bien sûre que l’ombre soit assez épaisse ; mais écoute, n’entends-tu pas marcher sur la terrasse, malgré la musique et le tintement de la grande horloge ?

— Assurément, grand’mère. »

C’est ce que dit aussi milady.


CHAPITRE VIII.

La narration d’Esther continue.

Dès que je fus habillée, mon premier soin fut de regarder par la fenêtre où mes bougies se reflétaient comme deux phares en attendant la venue du jour. Tout reposait encore, enveloppé de ténèbres, et j’éprouvais un vif intérêt à guetter le retour de la lumière, afin de voir ce qui sortirait de l’obscurité. Peu à peu, la perspective se dévoila. Ces lieux, sur lesquels pendant la nuit le vent errait dans l’ombre comme ma mémoire sur le passé, apparurent graduellement, et je distinguai bientôt les objets dont j’étais environnée ; d’abord vaguement, à travers le brouillard, au-dessus duquel les dernières étoiles brillaient encore ; puis cette pâle vapeur se dissipa, le cadre du tableau s’élargit et s’emplit tellement vite qu’à chaque nouveau coup d’œil je découvrais un nouvel horizon. Mes bougies pâlirent devant l’éclat du jour ; les dernières ténèbres s’évanouirent, et le soleil éclaira l’église de l’ancienne abbaye, dont la vieille tour projetait une ombre gracieuse sur ses lignes austères. Ce n’était pas la pre-