Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/227

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crevé les yeux. Il va sans dire que tout lui a été laissé sans conditions, mais quand elle s’est remariée, quand elle a eu la malheur de vous épouser, en un mot, dit ma tante, pour parler franchement, personne n’a-t-il dit alors un mot en faveur de cet enfant ?

— Ma pauvre femme aimait son second mari, madame, dit M. Murdstone : elle avait pleine confiance en lui.

— Votre femme, monsieur, était une pauvre enfant très-malheureuse, qui ne connaissait pas le monde, répondit ma tante en secouant la tête. Voilà ce qu’elle était ; et maintenant, voyons ! qu’avez-vous à dire de plus ?

— Seulement ceci, miss Trotwood, répliqua-t-il ; je suis prêt à reprendre David, sans conditions pour faire de lui ce qui me conviendra, et pour agir à son égard comme il me plaira. Je ne suis pas venu pour faire des promesses, ni pour prendre des engagements envers qui que ce soit. Vous avez peut-être quelque intention, miss Trotwood, de l’encourager dans sa fuite et d’écouter ses plaintes. Vos manières qui, je dois le dire, ne me semblent pas conciliantes, me portent à le supposer. Je vous préviens donc que, si vous l’encouragez cette fois, c’est une affaire finie : si vous intervenez entre lui et moi, votre intervention, miss Trotwood, doit être définitive. Je ne plaisante pas, et il ne faut pas plaisanter avec moi. Je suis prêt à l’emmener pour la première et la dernière fois : est-il prêt à me suivre ? S’il ne l’est pas, si vous me dites qu’il ne l’est pas, sous quelque prétexte que ce soit, peu m’importe, ma porte lui est fermée pour toujours, et je tiens pour convenu que la vôtre lui est ouverte. »

Ma tante avait écouté ce discours avec l’attention la plus soutenue, en se tenant plus droite que jamais, ses mains croisées sur ses genoux et l’œil fixé sur son interlocuteur. Quand il eut fini, elle tourna les yeux du côté de miss Murdstone sans changer d’attitude, et lui dit :

« Et vous, mademoiselle, avez-vous quelque chose à ajouter ?

— Vraiment, miss Trotwood, dit miss Murdstone, tout ce que je pourrais dire a été si bien exprimé par mon frère, et tous les faits que je pourrais rapporter ont été exposés par lui si clairement, que je n’ai qu’à vous remercier de votre politesse ou plutôt de votre excessive politesse, ajouta miss Murdstone, avec une ironie qui ne troubla pas plus ma tante qu’elle n’eût déconcerté le canon près duquel j’avais dormi à Chatham.