Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/338

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« Tout d’un coup, un soir, comme qui dirait ce soir, la petite Émilie revient de son ouvrage et lui avec elle ! Il n’y a rien là de bien extraordinaire, allez-vous me dire, et c’est bien vrai, car il veille sur elle comme un frère, quand il fait nuit, et aussi quand il fait jour, et à toute heure. Mais voilà le matelot qui la prend par la main, et qui me crie d’un air joyeux : « Regardez bien ! voilà ma petite femme ! » et elle, la voilà qui dit aussi, moitié hardiesse et moitié honte, moitié riant, moitié pleurant : « Oui, mon oncle, si vous voulez bien. — Si je veux bien ! s’écriait M. Peggotty en roulant les yeux en extase à cette idée, mon Dieu, comme si je désirais autre chose ! — Si vous voulez bien ; je suis plus raisonnable maintenant ; j’y ai réfléchi et je serai une bonne petite femme pour lui si je peux, c’est un si bon garçon ! » Là-dessus mistress Gummidge se met à battre des mains comme au spectacle, et vous entrez. Voilà le fait, s’écria M. Peggotty, c et vous entrez ! » Cela s’est passé ici, à l’instant même, et voilà l’homme qu’elle épousera aussitôt que son apprentissage va être fini ! »

Ham trébucha tant qu’il put sous le coup de poing que M. Peggotty lui lança, dans sa joie, comme une marque de confiance et d’amitié ; mais, se sentant obligé, en conscience, de nous dire aussi quelque chose, voici ce qu’il se mit à balbutier avec beaucoup de peine :

« Elle n’était pas plus grande que vous, à votre premier voyage ici, monsieur David,… que je devinais déjà ce qu’elle deviendrait… Je l’ai vue pousser… comme une fleur, messieurs. Je donnerais ma vie pour elle… de tout cœur, avec bien du plaisir… monsieur David. Elle est pour moi, messieurs… plus que… elle est pour moi tout ce qu’il me faut, et plus que… plus que je ne saurai jamais dire. Je l’aime de tout mon cœur. Il n’y a pas un gentleman sur la terre… ni en mer non plus, qui aime sa femme plus que je ne l’aime, quoiqu’il y ait bien des pauvres diables comme moi qui pourraient… exprimer mieux… ce qu’ils veulent dire. »

J’étais ému de voir ce robuste et vigoureux garçon trembler d’amour pour la petite créature qui lui avait gagné le cœur. J’étais ému de la confiance simple et naturelle que M. Peggotty et lui venaient de nous témoigner. J’étais ému du récit même. Toute cette émotion n’était-elle pas, en grande partie, reflet des souvenirs de mon enfance, c’est ce que je ne sais pas. Je ne sais pas si je n’étais pas venu avec quelque vague idée d’aimer encore la petite Émilie, je sais seulement que j’étais