Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/352

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parlé ; gardant la tête nécessairement penchée d’un côté, et fermant un œil de l’air le plus malin, commença par fixer sur Steerforth ses œillades pénétrantes ; après quoi elle laissa échapper un torrent de paroles.

« Ah ! mon joli muguet, s’écria-t-elle en secouant sa grosse tête, vous voilà donc ici ! Oh ! le méchant garçon ! fi ! que c’est vilain ! qu’est-ce que vous venez faire, si loin de chez vous ? quelque mauvais tour, je parie ! Oh ! vous êtes une maligne pièce, Steerforth, et moi aussi, n’est-ce pas !Ah ! ah! Ah ! vous auriez parié cent livres sterling contre cinq guinées n’est-ce pas, que vous ne me retrouveriez pas ici ! Eh bien ! mon garçon, on me retrouve partout. À droite, à gauche, dans tous les coins, comme la demi-couronne que l’escamoteur cache dans le mouchoir d’une dame. À propos de mouchoirs et de dames, c’est votre chère mère qui doit être bien heureuse de vous avoir, mon mignon ; j’en mettrais bien ma main au feu, n’importe laquelle ! »

À cet endroit de son discours, miss Mowcher dénoua son chapeau, rejeta les brides en arrière, et, tout essoufflée, s’assit sur un tabouret devant le feu, se faisant de la table à manger une sorte de dais qui étendait sur elle comme une tente d’acajou.

« Ouf ! continua-t-elle en appuyant ses mains sur ses petits genoux et en me regardant d’un air fin, je suis trop forte, voilà le fait, Steerforth. Quand j’ai monté un étage, j’ai autant de peine à rattraper mon haleine que s’il s’agissait de tirer du puits un seau d’eau. Si vous me voyiez regarder par la fenêtre du premier, vous me prendriez pour une belle femme, n’est-ce pas ?

— Mais je ne vous prends pas pour autre chose toutes les fois que je vous vois, répliqua Steerforth.

— Allons ! vaurien, taisez-vons, dit la petite créature en le menaçant du mouchoir avec lequel elle s’essuyait la figure, pas d’impertinence ! Mais je vous donne ma parole que j’étais chez lady Mithers la semaine dernière. En voilà une femme ! comme elle se conserve ! et Mithers lui-même, qui est entré pendant que j’attendais sa femme, en voilà un homme ! comme il se conserve ! et sa perruque aussi, car il l’a depuis dix ans ; si bien donc qu’il s’est lancé si éperdument dans les compliments que je commençais à croire que j’allais être obligée de sonner. Ah ! ah ! ah ! c’est un très-aimable mauvais sujet : quel dommage qu’il n’ait pas de principes !