Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/357

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Je dis que je me mêle un peu d’enjôler aussi dans mon genre. Il y a des douairières qui m’appellent soi-disant pour avoir du baume pour les lèvres ; telle autre me demande des gants ; une troisième, une chemisette ; une dernière, un éventail. Moi, je donne à tout cela le nom qu’elles veulent. Je leur fournis l’article demandé ; mais nous nous gardons si bien le secret l’une à l’autre, et faisons si bonne contenance, ma foi ! qu’elles ne se gêneraient pas plus pour se pommader de leur rouge devant le monde que devant moi. Je vais chez elles, n’ont-elles pas le front de me dire quelquefois, avec un bon doigt de rouge sur la figure, pour le moins : « Quelle mine me trouvez-vous, miss Mowcher ? ne suis-je pas un peu pâle ? » Ah ! ah ! ah ! en voilà encore des enjôleuses ; qu’en dites-vous, mon garçon ? »

Jamais de ma via ni de mes jours je n’ai rien vu qui approchât de miss Mowcher debout sur la table à manger, riant de cette bonne plaisanterie et frottant sans relâche le crâne de Steerforth, pendant qu’elle clignait de l’œil de mon côté, en me regardant par-dessus la tête.

« Ah ! par exemple, on ne demande pas beaucoup ces articles-là de ce côté-ci, dit-elle. Voilà qui m’étonne. Je n’ai pas vu une jolie femme depuis que je suis ici, Steerforth.

— Non ? dit Steerforth.

— Pas seulement l’ombre, répliqua miss Mowcher.

— Nous pourrions lui en montrer le corps en substance, je pense, dit Steerforth en tournant les yeux vers moi. N’est-ce pas, Pâquerette ?

— Bien certainement, répondis-je.

— Ah ! ah ! dit la petite créature en me regardant d’un œil perçant, puis en jetant un coup d’œil sur Steerforth, ah ! ah ! »

La première exclamation semblait une question adressée à tous deux, la seconde était évidemment à l’adresse de Steerforth seul. Ne recevant de l’un ni de l’autre la réponse qu’elle espérait sans doute, elle continua de frotter en penchant la tête et en tournant un œil vers le plafond, comme si elle cherchait dans les airs la réponse qui lui faisait défaut ici-bas, et qu’elle s’attendît à la voir apparaître immédiatement.

« Une sœur à vous, monsieur Copperfield ? s’écria-t-elle après un moment de silence et en conservant toujours la même attitude ; une sœur à vous ?

— Non, dit Steerforth sans me laisser le temps de répondre, point du tout. Au contraire, M. Copperfield a eu lui-même beaucoup de goût pour elle ou je me trompe fort.