Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/402

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qui avait les jambes un peu grêles. Uriah, Traddles et moi, en notre qualité de jeunesse, nous descendîmes les derniers, sans cérémonie. Je ne fus pas tout à fait aussi contrarié que je l’aurais été d’avoir manqué le bras d’Agnès, en trouvant l’occasion, sur l’escalier, de renouer connaissance avec Traddles, qui fut ravi de me revoir, tandis qu’Uriah se tortillait près de nous avec une humilité et une satisfaction ai indiscrètes, que j’avais grande envie de le jeter par-dessus la rampe.

Nous fûmes séparés à table, Traddles et moi. Nous étions aux deux bouts opposés ; il était perdu dans l’éclat éblouissant d’une robe de volours rouge, et moi dans le deuil de la tante d’Hamlet. Le dîner fut très-long, et la conversation roula tout entière sur l’aristocratie de naissance, sur ce qu’on appelle… le sang. Mistress Waterbrook nous répéta plusieurs fois que, si elle avait une faiblesse, c’était pour le sang.

Il me vint plusieurs fois à l’esprit que nous n’en aurions pas été plus mal, si nous n’avions pas été si comme il faut. Nous étions tellement comme il faut, que le cercle de la conversation était extrêmement restreint. Il y avait au nombre des invités un monsieur et une madame Gulpidge, qui avaient quelque rapport (M. Gulpidge, du moins) de seconde main avec les affaires légales de la Banque et entre la Banque et la Trésorerie, nous étions aussi exclusifs que le journal de la Cour, qui ne sort pas de là. Pour ajouter à l’agrément de la chose, la tante d’Hamlet avait le défaut de la famille et se livrait constamment à des soliloques décousus sur tous les sujets auxquels on faisait allusion. Il est vrai de dire qu’ils étaient peu nombreux, mais comme nous retombions toujours sur le sang, elle avait un champ aussi vaste pour donner carrière à ses spéculations abstraites que son neveu lui-même.

Le sang ! le sang ! on aurait pu se croire à un dîner d’ogres, tant la conversation prenait un ton sanguinaire.

« J’avoue que je suis de l’avis de mistress Waterbrook, dit M. Waterbrook en élevant son verre à la hauteur de ses yeux. Il y a bien des choses qui ont aussi leur valeur, mais moi je tiens pour le sang !

— Oh ! il n’y a rien d’aussi satisfaisant, observa la tante d’Hamlet, il n’y a rien qui rappelle autant le beau idéal de toutes ces sortes de choses en général. Il y a des esprits vulgaires (il y en a peu, j’espère, mais enfin il y en a) qui aiment mieux se prosterner devant ce que j’appellerais des idoles, positivement des idoles : devant de grands services rendus, des