Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/412

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je le crusse réellement, mais parce que j’étais à bout. Je ne savais plus, en vérité, ce que je disais.

« Mon Dieu ! dit-il par réflexion ; dans la maison que j’habite, une espèce d’hôtel, de pension bourgeoise, près de New-River-Hend, je vais trouver tout le monde couché depuis deux heures, monsieur Copperfield.

— Je suis bien fâché, répondis-je, de n’avoir ici qu’un seul lit, et de…

— Oh ! ne parlez pas de lit, monsieur Copperfield, répondit-il d’un ton suppliant, en relevant une de ses jambes. Mais, est-ce que vous verriez quelque inconvénient à me laisser coucher par terre devant le feu ?

— Si vous en êtes là, prenez mon lit, je vous en prie, et moi, je m’étendrai devant le feu. »

Il refusa mon offre, d’une voix assez perçante, dans l’excès de sa surprise et de son humilité, pour aller réveiller mistress Crupp, endormie, je suppose, à cette heure indue, dans une chambre éloignée, située à peu près au niveau de la marée basse, et bercée probablement dans son sommeil, par le bruit d’une horloge incorrigible, à laquelle elle en appelait toujours quand nous avions quelque petite discussion sur une question d’exactitude ; cette horloge était toujours de trois quarts d’heure en retard, quoiqu’elle eût été réglée chaque matin sur les autorités les plus compétentes. Aucun des arguments qui me venaient à l’esprit dans mon état de trouble, n’ayant d’effet sur sa modestie, je renonçai à lui persuader d’accepter ma chambre à coucher, et je fus obligé de lui improviser, le mieux possible, un lit auprès du feu. Le matelas du canapé (beaucoup trop court pour ce grand cadavre), les coussins du canapé, une couverture, le tapis de la table, une nappe propre et un gros paletot, tout cela composait un coucher dont il me fut platement reconnaissant. Je lui prêtai un bonnet de nuit dont il s’affubla à l’instant, et qui le rendait si horrible, que je n’ai jamais pu en porter depuis ; après quoi je le laissai reposer en paix.

Je n’oublierai jamais cette nuit-là. Je n’oublierai jamais combien de fois je me tournai et me retournai dans mon lit ; combien de fois je me fatiguai à penser à Agnès et à cet animal ; combien de fois je me demandai ce que je pouvais et ce que je devais faire, et tout cela, pour aboutir toujours à cette impasse, que je n’avais rien de mieux à faire pour le repos d’Agnès, que de ne rien faire du tout, et de garder pour moi