Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/423

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J’inclinai la tête à mon tour.

« Mais il n’est pas nécessaire, dit miss Murdstone, que ces opinions en viennent à une collision ici même. Dans les circonstances actuelles, il vaut mieux pour tout le monde qu’il n’en soit rien. Puisque les hasards de la vie nous ont rapprochés de nouveau, et que d’autres occasions du même genre peuvent se présenter, je suis d’avis que nous nous traitions l’un l’autre comme de simples connaissances. Nos relations de famille éloignées sont une raison suffisante pour expliquer ce genre de rapports entre nous, et il est inutile que nous nous fassions remarquer. Êtes-vous du même avis ?

— Miss Murdstone, répliquai-je, je trouve que M. Murdstone et vous, vous en avez usé cruellement à mon égard, et que vous avez traité ma mère avec une grande dureté ; je conserverai cette opinion toute ma vie. Mais je souscris complètement à ce que vous proposez. »

Miss Murdstone ferma de nouveau les yeux et pencha encore la tête ; puis touchant le revers de ma main du bout de ses doigts roides et glacés, elle s’éloigna en arrangeant les petites chaînes qu’elle portait aux bras et au cou, les mêmes et dans le même état exactement que la dernière fois que je l’avais vue. Je me rappelai alors, en pensant au caractère de miss Murdstone, les chaînes et les fers qu’on met au-dessus de la porte d’une prison pour annoncer au dehors à tous les passants ce qu’on peut s’attendre à trouver au dedans.

Tout ce que je sais du reste de la soirée, c’est que j’entendis la souveraine de mon cœur chanter des ballades merveilleuses composées en français et dont la moralité était en général qu’en tout état de cause, il fallait toujours danser, tra la la, tra la la ! Elle s’accompagnait sur un instrument enchanté qui ressemblait à une guitare. J’étais plongé dans un délire de béatitude. Je refusai tout rafraîchissement. Le punch en particulier révoltait tout mon être. Quand miss Murdstone vint l’arrêter pour l’emmener, elle sourit et me tendit sa charmante petite main. Je jetai par hasard un coup d’œil sur une glace et je vis que j’avais l’air d’un imbécile, d’un idiot. Je revins à ma chambre dans un état d’imbécillité, et je me levai le lendemain plongé toujours dans la même extase.

Il faisait beau, et comme je m’étais levé de grand matin, je pensai que je pouvais aller me promener dans une des allées en berceau, et nourrir ma passion en contemplant son image dans mon cœur. En traversant le vestibule, je rencontrai son petit