Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/466

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d’une idée de souffrance, vint agiter cette terrible créature. Le coin de sa lèvre se releva comme pour exprimer le dédain ou une pitié méprisante. Elle mit précipitamment sa main sur sa bouche, cette main que j’avais souvent comparée dans mes pensées à la porcelaine la plus transparente, tant elle était mince et délicate, quand elle la portait devant ses yeux pour abriter son visage de l’ardeur du feu ; puis elle me dit vivement, d’un accent ému et passionné :

« Je vous promets le secret là-dessus ! »

Et elle ne dit pas un mot de plus.

Mistress Steerforth n’avait jamais été plus heureuse de la société de son fils, car justement Steerforth n’avait jamais été plus aimable ni plus respectueux avec elle. J’éprouvais un vif plaisir à les voir ensemble, non-seulement à cause de leur affection mutuelle, mais à cause aussi de la ressemblance frappante qui existait entre eux, si ce n’est que l’influence de l’âge et du sexe remplaçait chez mistress Steerforth, par une dignité pleine de grâce, la hauteur ou l’ardente impétuosité de son fils. Je pensais plus d’une fois qu’il était bien heureux qu’il ne se fût jamais élevé entre eux une cause sérieuse de division, car ces deux natures, ou plutôt ces deux nuances de la même nature auraient pu être plus difficiles à réconcilier que les caractères les plus opposés du monde. Je suis obligé d’avouer que cette idée ne me venait pas de moi-même ; ce n’est pas à mon discernement qu’il faut en faire honneur ; je la devais à quelques mots de révélation de Rosa Dartle. Nous étions à dîner, lorsqu’elle nous fit cette question :

« Oh ! dites-moi, je vous en prie, les uns ou les autres, quelque chose qui m’a préoccupée toute la soirée et que je voudrais savoir ?

— Qu’est-ce que vous voudriez savoir, Rosa ? demanda mistress Steerforth. Je vous en prie, Rosa, ne soyez pas si mystérieuse.

— Mystérieuse ! s’écria-t-elle. Oh ! vraiment ! Est-ce que vous me trouvez mystérieuse ?

— Est-ce que je ne passe pas ma vie à vous conjurer, dit mistress Steerforth, de vous expliquer ouvertement, naturellement ?

— Ah ! alors je ne suis donc pas naturelle ? répliqua-t-elle, eh bien ! je vous en prie, ayez un peu d’indulgence, parce que je ne fais de question que pour m’instruire. On ne se connaît jamais bien soi-même.