Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

faire, ma chère Jane. Voyons Davy, recommence, et ne sois pas si stupide. »

J’obéis à la première de ces injonctions et je me remets à apprendre, mois je ne réussis pas en ce qui concerne la seconde, car je suis plus stupide que jamais. Je m’arrête avant d’arriver à l’endroit fatal, à un passage que je savais parfaitement tout à l’heure, et je me mets à réfléchir, mais ce n’est pas à ma leçon que je réfléchis. Je pense au nombre de mètres de tulle qu’on peut avoir employés au bonnet de miss Murdstone, ou bien au prix qu’a dû coûter la robe de chambre de M. Murdstone, ou à quelque autre problème absurde qui ne me regarde pas, et dont je n’aurai jamais que faire. M. Murdstone fait un geste d’impatience que j’attends depuis longtemps. Miss Murdstone en fait autant. Ma mère les regarde d’un air résigné ferme le livre et le met de côté comme un arriéré que j’aurai à acquitter quand mes autres devoirs seront finis. Bientôt le nombre des arriérés va grossissant comme une boule de neige. Plus il augmente, et plus je deviens bête. Le cas est tellement désespéré, et je sens qu’on me farcit la tête d’une telle qualité de sottises, que je renonce à l’idée de pouvoir jamais m’en tirer et que je m’abandonne à mon sort. Il y a quelque chose de profondément mélancolique dans les regards désespérés que nous nous jetons ma mère et moi, à chaque nouvelle erreur. Mais le plus terrible moment de ces malheureuses leçons, c’est quand ma mère, croyant que personne ne la regarde, essaye de me souffler le mot fatal. À cet instant miss Murdstone, qui depuis longtemps est aux aguets, dit d’une voix grave :

« Clara ! »

Ma mère tressaille, rougit et sourit faiblement ; M. Murdstone, se lève, prend le livre, me le jette à la tête, ou me donne un soufflet, et me fait sortir brusquement de la chambre.

Quand j’ai fini d’apprendre mes leçons, il me reste encore à faire ce qu’il y a de plus terrible, une effrayante multiplication. C’est une torture inventée à mon usage, et M. Murdstone me dicte lui-même cet énoncé :

« Je vais chez un marchand de fromages, j’achète cinq mille fromages de Glocester à six pence pièce, ce qui fait en tout… »

Je vois la joie secrète de miss Murdstone. Je médite sur ces fromages sans le moindre résultat, jusqu’à l’heure du dîner ;