Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/90

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je l’entendais chanter mon inscription. Enfin, dans ma frayeur, je contemplais en tremblant cette porte, jusqu’à qu’il me semblât entendre tous les propriétaires de ces noms (Il y en avait quarante-cinq, à ce que me dit M. Mell) crier en chœur qu’il fallait m’envoyer à Coventry, et répéter, chacun à sa manière « Prenez garde, il mord. »

Et de même pour les pupitres et les bancs, de même pour les lits solitaires que j’examinais le soir quand j’étais couché. Toutes les nuits j’avais des rêves où je voyais tantôt ma mère telle qu’elle était jadis, tantôt l’intérieur de M. Peggotty ; ou bien je voyageais sur l’impériale de la diligence, ou je dînais avec mon malheureux ami le garçon d’hôtel ; et partout je voyais tout le monde me regarder d’un air effaré ; on venait de s’apercevoir que je n’avais pour tout vêtement que ma chemise de nuit et mon écriteau.

Cette vie monotone et la frayeur que me causait la fin prochaine des vacances, me causaient une affliction intolérable. J’avais chaque jour de longs devoirs à faire pour M. Mell, mais je les faisais (M. Murdstone et sa sœur n’étaient plus là), et je ne m’en tirais pas mal. Avant et après mes heures d’étude je me promenais, sous la surveillance, comme je l’ai déjà dit, de l’homme à la jambe de bois. Je me rappelle encore, comme si j’y étais, tout ce que je voyais dans ces promenades, la terre humide autour de la maison, les pierres couvertes de mousse dans la cour, la vieille fontaine toute fendue et les troncs décolorés de quelques arbres ratatinés qui avaient l’air d’avoir reçu plus de pluie et moins de rayons de soleil que tous les arbres du monde ancien et moderne. Nous dînions à une heure, M. Mell et moi, au bout d’une longue salle à manger parfaitement nue, ou on ne voyait que des tables de sapin qui sentaient le graillon, et puis noms nous remettions à travailler jusqu’à l’heure du thé ; M. Mell buvait son thé dans une petite tasse bleue, et moi dans un petit pot d’étain. Pendant toute la tournée et jusqu’à sept ou huit heures du soir, M. Mell était établi à son pupitre dans la salle d’études ; il s’occupait sans relâche à faire les comptes du dernier semestre, sans quitter sa plume, son encrier, sa règle et ses livres. Quand il avait tout rangé le soir, il tirait sa flûte et soufflait dedans avec une telle énergie que je m’attendais à tout moment à le voir passer par le grand trou de son instrument, jusqu’à son dernier souffle, et à le voir fuir par les clefs.

Je me vois encore, pauvre petit enfant que j’étais alors, la