Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/137

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tout prix, nous nous associâmes à cette noble corporation de procureurs marrons, et nous cherchâmes à attirer chez nous les oisifs et les coulissiers. Ce que nous demandions surtout, parce que cela nous rapportait plus que le reste, c’étaient les autorisations de mariage ou les actes probatoires pour valider un testament ; mais chacun voulait les avoir, et la concurrence était si grande, qu’on mettait en planton, à l’entrée de toutes les avenues qui conduisaient aux Commons, des forbans et des corsaires chargés d’amener à leurs bureaux respectifs toutes les personnes en deuil ou tous les jeunes gens qui avaient l’air embarrassés de leur personne. Ces Instructions étaient si fidèlement exécutées, qu’il m’arriva par deux fois, avant que je fusse bien connu, d’être envoyé moi-même pour l’étude de notre rival le plus redoutable. Les intérêts contraires de ces recruteurs d’un nouveau genre étant de nature à mettre en jeu leur sensibilité, cela finissait souvent par des combats corps à corps, et notre principal agent, qui avait commencé par le commerce des vins en détail, avant de passer au brocantage judiciaire, donna même à la Cour le scandaleux spectacle, pendant quelques jours, d’un œil au beurre noir. Ces vertueux personnages ne se faisaient pas le moindre scrupule quand ils offraient la main, pour descendre de sa voiture, à quelque vieille dame en noir, de tuer sur le coup le procureur qu’elle demandait, représentant leur patron comme le légitime successeur du défunt, et de lui amener en triomphe la vieille dame, souvent encore très-émue de la triste nouvelle qu’elle venait d’apprendre. C’est ainsi qu’on m’amena à moi-même bien des prisonniers. Quant aux autorisations de mariage, la concurrence était si formidable, qu’un pauvre monsieur timide, qui venait dans ce but de notre côté, n’avait rien de mieux à faire que de s’abandonner au premier agent qui venait à le happer, s’il ne voulait pas devenir le théâtre de la guerre et la proie du vainqueur. Un de nos commis, employé à cette spécialité, ne quittait jamais son chapeau quand il était assis, afin d’être toujours prêt à s’élancer sur les victimes qui se montraient à l’horizon. Ce système de persécution est encore en vigueur, à ce que je crois. La dernière fois que je me rendis aux Commons, un homme très-poli, revêtu d’un tablier blanc, me sauta dessus tout à coup, murmurant à mon oreille les mots sacramentels : « Une autorisation de mariage ? » et ce fut à grand’peine que je l’empêchai de m’emporter à bras jusque dans une étude de procureur.