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Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/141

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Je le quittai bientôt en le priant de transmettre tous mes souvenirs à sa famille. Il reprit sa place et sa plume, se frotta le front comme pour se remettre à son travail ; je voyais bien qu’il y avait dans ses nouvelles fonctions quelque chose qui nous empêcherait d’être désormais aussi intimes que par le passé.

Il n’y avait personne dans le vieux salon, mais mistress Heep y avait laissé des traces de son passage. J’ouvris la porte de la chambre d’Agnès : elle était assise près du feu et écrivait devant son vieux pupitre en bois sculpté.

Elle leva la tête pour voir qui venait d’entrer. Quel plaisir pour moi d’observer l’air joyeux que prit à ma vue ce visage réfléchi, et d’être reçu avec tant de bonté et d’affection !

« Ah ! lui dis-je, Agnès, quand nous fûmes assis à côté l’un de l’autre, vous m’avez bien manqué depuis quelque temps !

— Vraiment ? répondit-elle. Il n’y a pourtant pas longtemps que vous nous avez quittés ! »

Je secouai la tête.

« Je ne sais pas comment cela se fait, Agnès ; mais il me manque évidemment quelque faculté que je voudrais avoir. Vous m’aviez si bien habitué à vous laisser penser pour moi dans le bon vieux temps ; je venais si naturellement m’inspirer de vos conseils et chercher votre aide, que je crains vraiment d’avoir perdu l’usage d’une faculté dont je n’avais pas besoin près de vous

— Mais qu’est-ce donc ? dit gaiement Agnès.

— Je ne sais pas quel nom lui donner, répondis-je, je crois que je suis sérieux et persévérant !

— J’en suis sûre, dit Agnès.

— Et patient, Agnès ? repris-je avec un peu d’hésitation.

— Oui, dit Agnès en riant, assez patient !

— Et cependant, dis-je, je suis quelquefois si malheureux et si agité, je suis si irrésolu et si incapable de prendre un parti, qu’évidemment il me manque, comment donc dire ?… qu’il me manque un point d’appui !

— Soit, dit Agnès.

— Tenez ! repris-je, vous n’avez qu’à voir vous-même. Vous venez à Londres, je me laisse guider par vous ; aussitôt je trouve un but et une direction. Ce but m’échappe, je viens ici, et en un instant je suis un autre homme. Les circonstances qui m’affligeaient n’ont pas changé, depuis que je suis entré dans cette chambre : mais, dans ce court espace de temps, j’ai