Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/203

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de secret absolu que je vous adresse. Mais, en ma double qualité d’épouse et de mère ! J’ai besoin d’épancher mon cœur, et comme je ne veux pas consulter ma famille (déjà peu favorable à M. Micawber), je ne connais personne à qui je puisse m’adresser avec plus de confiance qu’à mon ami et ancien locataire.

« Vous savez peut-être, mon cher monsieur Copperfield, qu’il y a toujours en une parfaite confiance entre moi et M. Micawber que je n’abandonnerai jamais). Je ne dis pas que M. Micawber n’a pas parfois signé un billet sans me consulter, ou ne m’a pas induit en erreur sur l’époque de l’échéance. C’est possible, mais en général M. Micawber n’a rien en de caché pour le giron de son affection (c’est sa femme dont je parle), il a toujours, à l’heure de notre repos, récapitulé devant elle les événements de sa journée.

« Vous pouvez vous représenter, mon cher monsieur Copperfield, toute l’amertume de mon cœur, quand je vous apprendrai que M. Micawber est entièrement changé. Il fait le réservé. Il fait le discret. Sa vie est un mystère pour la compagne de ses joies et de ses chagrins (c’est encore de sa femme que je parle), et je puis vous dire que je ne sais pas plus ce qu’il fait tout le jour dans son bureau, que je ne suis au courant de l’existence de cet homme miraculeux, dont on raconte aux petits enfants qu’il vivait de lécher les murs. Encore sait-on bien que ceci n’est qu’une fable populaire, tandis que ce que je vous raconte de M. Micawber n’est malheureusement que trop vrai.

« Mais ce n’est pas tout : M. Micawber est morose ; il est sévère ; il vit éloigné de notre fils aîné, de notre fille ; il ne parle plus avec orgueil de ses jumeaux ; il jette même un regard glacial sur l’innocent étranger qui est venu dernièrement s’ajouter à notre cercle de famille. Je n’obtiens de lui qu’avec la plus grande difficulté les ressources pécuniaires qui me sont indispensables pour subvenir à des dépenses bien réduites, je vous assure ; il me menace sans cesse d’aller se faire planteur (c’est son expression), et il refuse avec barbarie de me donner la moindre raison d’une conduite qui me navre.

« C’est bien dur à supporter ; mon cœur se brise. Si vous voulez me donner quelques avis, vous ajouterez une obligation de plus à toutes celles que je vous ai déjà. Vous connaissez mes faibles ressources ; dites-moi comment je puis les employer dans une situation si équivoque. Mes enfants me chargent de mille tendresses ; le petit étranger qui a le bonheur, hélas !