Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/345

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dont nous l’avions sauvée peut-être ce jour-là, car qui sait si son courage n’aurait pas succombé dans cette lutte ? je me sentais le cœur plein de reconnaissance pour les malheurs de ma jeunesse qui m’avaient amené à connaître M. Micawber.

Sa maison n’était pas loin ; la porte du salon donnait sur la rue, il s’y précipita avec sa vivacité habituelle, et nous nous trouvâmes au milieu de sa famille. Il s’élança dans les bras de mistress Micawber en s’écriant : « Emma, mon bonheur et ma vie ! » Mistress Micawber poussa un cri perçant et serra M. Micawber sur son cœur. Miss Micawber, qui était ocoupée à bercer l’innocent étranger dont me parlait mistress Micawber dans sa lettre, fut extrêmement émue. L’étrangor sauta de joie. Les jumeaux témoignèrent leur satisfastion par diverses démonstrations incommodes, mais naïves. Maître Micawber, dont l’humeur paraissait aigrie par les déceptions précoces de sa jeunesse, et dont la mine avait conservé quelque chose de morose, céda à de meilleurs sentiments et pleurnicha.

« Emma ! dit M. Micawber, le nuage qui voilait mon âme, s’est dissipé. La confiance qui a si longtemps existé entre nous revit à jamais ! Salut, pauvreté ! s’écria-t-il en versant des larmes. Salut, misère bénie ! que la faim, les haillons, la tempête, la mendicité soient les bienvenus ! Salut ! La confiance réciproque nous soutiendra jusqu’à la fin ! »

En parlant ainsi, M. Micawber embrassait tous ses enfants les uns après les autres, et faisait asseoir sa femme, poursuivant de ses saluts, avec enthousiasme, la perspective d’une série d’infortunes qui ne me paraissaient pas trop désirables pour sa famille ; et les invitant tous à venir chanter en chœur dans les rues de Canterbury, puisque c’était la seule ressource qui leur restât pour vivre.

Mais mistress Micawber venait de s’évanouir, vaincue par tant d’émotions ; la première chose à faire, même avant de songer à compléter le chœur en question, c’était de la faire revenir à elle. Ma tante et M. Micawber s’en chargèrent ; puis on lui présenta ma tante, et mistress Micawber me reconnut.

« Pardonnez-moi,. cher monsieur Copperfield, dit la pauvre femme en me tendant la main, mais je ne suis pas forte, et je n’ai pu résister au bonheur de voir disparaître tant de désaccord entre M. Micawber et moi.

— Sont-ce là tous vos enfants, madame ? dit ma tante.

— C’est tout ce que nous en avons pour le moment, répondit mistress Micawber…