Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/367

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de la famille, petits et grands, là présents. M. Micawber en particulier fut tellement enchanté de trouver une si belle occasion de pratiquer ses habitudes de transactions commerciales, en souscrivant des billets, qu’on ne put l’empêcher de courir immédiatement chez le marchand de papier timbré. Mais sa joie reçut tout à coup un rude choc ; cinq minutes après, il revint escorté d’un agent du shérif, nous informer en sanglotant que tout était perdu. Comme nous étions préparés à cet événement, et que nous avions prévu la vengeance d’Uriah Heep, nous payâmes aussitôt la somme, et, cinq minutes après, M. Micawber avait repris sa place devant la table, et remplissait les blancs de ses feuilles de papier timbré avec une expression de ravissement, que nulle autre occupation ne pouvait lui donner, si ce n’est celle de faire du punch. Rien que de le voir retoucher ses billets avec un ravissement artistique, et les placer à distance pour mieux en voir l’effet, les regarder du coin de l’œil, et inscrire sur son carnet les dates et les totaux, enfin contempler son œuvre terminée, avec la profonde conviction que c’était de l’or en barre, il ne pouvait y avoir de spectacle plus amusant.

« Et maintenant, monsieur, si vous me permettez de vous le dire, ce que vous avec de mieux à faire, dit ma tante après l’avoir observé un moment en silence, c’est de renoncer pour toujours à cette occupation.

— Madame, répondit M. Micawber, j’ai l’intention d’inscrire ce vœu sur la page vierge de notre nouvel avenir. Mistress Micawber peut vous le dire. J’ai la confiance, ajouta-t-il d’un ton solennel, que mon fils Wilkins n’oubliera jamais qu’il vaudrait mieux pour lui plonger son poing dans les flammes que de manier les serpents qui ont répandu leur venin dans les veines glacées de son malheureux père ! » Profondément ému, et transformé en une image du désespoir, M. Micawber contemplait ces serpents invisibles avec un regard rempli d’une sombre haine (quoi qu’à vrai dire, on y retrouvât encore quelques traces de son ancien goût pour ces serpents figurés), puis il plia les feuilles et les mit dans sa poche.

La soirée avait été bien remplie. Nous étions épuisés de chagrin et de fatigue ; sans compter que ma tante et moi nous devions retourner à Londres le lendemain. Il fut convenu que les Micawber nous y suivraient, après avoir vendu leur mobilier; que les affaires de M. Wickfield seraient réglées le plus promptement