Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/375

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en roulant, puis s’écroulaient subitement de toute leur hauteur ; on aurait dit qu’elles allaient engloutir la ville. Les vagues, en se retirant avec un bruit sourd, semblaient creuser sur la grève des caves profondes, comme pour miner le sol. Lorsqu’une lame blanche se brisait avec fracas, avant d’atteindre le rivage, chaque fragment de ce tout redoutable, animé de la même furie, courait, dans sa colère, former un autre monstre pour un assaut nouveau. Les collines se transformaient en vallées, les vallées redevenaient des collines, sur lesquelles s’abattait tout à coup quelque oiseau solitaire ; l’eau bouillonnante venait bondir sur la grève, masse tumultueuse qui changeait sans cesse de forme et de place pour céder bientôt l’espace à des formes nouvelles ; le rivage idéal qui semblait se dresser à l’horizon montrait et cachait tour à tour ses clochers et ses édifices ; les nuages s’enfuyaient épais et rapides ; on eût cru assister à un soulèvement, à un déchirement suprême de la nature entière.

Je n’avais pas aperçu Ham parmi les marins que ce vent mémorable (car on se le rappelle encore aujourd’hui, comme le plus terrible sinistre qui ait jamais désolé la côte) avait rassemblés sur le rivage ; je me rendis à sa chaumière ; elle était fermée, je frappai en vain. Alors je gagnai par de petits chemins le chantier où il travaillait. J’appris là qu’il était parti pour Lowestoft où on l’avait demandé pour un radoub pressé que lui seul pouvait faire, mais qu’il reviendrait le lendemain matin de bonne heure.

Je retournai à l’hôtel, et, après avoir fait ma toilette de nuit, j’essayai de dormir, mais en vain ; il était cinq heures de l’après-midi. Je n’étais pas depuis cinq minutes au coin du feu, dans la salle à manger, quand le garçon entra sous prétexte de mettre tout en ordre, ce qui lui servait d’excuse pour causer. Il me dit que deux bateaux de charbon venaient de sombrer, avec leur équipage, à quelques milles de Yarmouth, et qu’on avait vu d’autres navires bien en peine à la dérive, qui s’efforçaient de s’éloigner du rivage : le danger était imminent.

« Que Dieu ait pitié d’eux, et de tous les pauvres matelots ! dit-il ; que vont-ils devenir, si nous avons encore une nuit comme la dernière ! »

J’étais bien abattu ; mon isolement et l’absence de Ham me causaient un malaise insurmontable. J’étais sérieusement affecté, sans bien m’en rendre compte, par les derniers événements et le vent violent auquel je venais de rester longtemps