Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/52

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douce voix pendant qu’elle chantait pour celui qui l’aimait. Les autres pouvaient applaudir si cela leur convenait, mais ils n’avaient rien à faire avec sa romance.

J’étais fou de joie. Je craignais d’être trop heureux pour que tout cela fût vrai ; je craignais de me réveiller tout à l’heure à Buckingham-Street d’entendre mistress Crupp heurter les tasses en préparant le déjeuner. Mais non, c’était bien Dora qui chantait, puis d’autres chantèrent ensuite ; miss Mills chanta elle-même une complainte sur les échos assoupis des cavernes de la Mémoire, comme si elle avait cent ans, et le soir vint, et on prit le thé en faisant bouillir l’eau au bivouac de notre petite bohème, et j’étais aussi heureux que jamais.

Je fus encore plus heureux que jamais quand on se sépara, et que tout le monde, le pauvre Favoris-roux y compris, reprit son chemin, dans chaque direction, pendant que je partais avec elle au milieu du calme de la soirée, des lueurs mourantes, et des doux parfums qui s’élevaient autour de nous. M. Spenlow était un peu assoupi, grâce au vin de Champagne ; béni soit le sol qui en a porté le raisin ! béni soit le raisin qui en a fait le vin ! béni soit le soleil qui l’a mûri ! béni soit le marchand qui l’a frelaté ! Et comme il dormait profondément dans un coin de la voiture, je marchais à côté et je parlais à Dora. Elle admirait mon cheval et le caressait (oh ! quelle jolie petite main à voir sur le poitrail d’un cheval !) et son châle qui ne voulait pas se tenir droit ! j’étais obligé de l’arranger de temps en temps, et je crois que Jip lui-même commençait à s’apercevoir de ce qui se passait, et à comprendre qu’il fallait prendre son parti de faire sa paix avec moi.

Cette pénétrante miss Mills, cette charmante recluse qui avait usé l’existence, ce petit patriarche de vingt ans à peine qui en avait fini avec le monde, et qui n’aurait pas voulu, pour tout au monde, réveiller les échos assoupis des cavernes de la Mémoire, comme elle fut bonne pour moi !

« Monsieur Copperfield, me dit elle, venez de ce côté de la voiture pour un moment, si vous avez un moment à me donner. J’ai besoin de vous parler. »

Me voilà, sur mon joli coursier gris, me penchant pour écouter mis Mills, la main sur la portière.

« Dora va venir me voir. Elle revient avec moi chez mon père après-demain. S’il vous convenait de venir chez nous, je suis sûre que papa serait très-heureux de vous recevoir. »