Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/125

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lui faisait placer son fauteuil devant le feu du même côté qu’elle, au lieu de le laisser en face ; et il restait là, dans le coin, entre le garde-feu et Mme Pipchin, la robe d’alépine noire faisant ombre sur sa petite figure. Il étudiait chaque trait, chaque ride de son visage, et perçait du regard son œil gris et dur, au point que Mme Pipchin, déconcertée, le fermait quelquefois comme pour sommeiller. Mme Pipchin avait un vieux chat noir, qui s’installait juste au beau milieu de la cheminée en faisant son ron ron, sans se gêner le moins du monde, et clignotant devant le feu jusqu’à ce que les prunelles de ses yeux ressemblassent à deux points d’admiration. On aurait pu prendre la vieille dame, sans manquer à tout le respect qu’on lui devait, pour une sorcière, et Paul et le chat pour ses deux démons familiers, quand ils étaient ainsi tous trois devant le feu. À voir leur société réunie, on eût trouvé tout simple qu’ils eussent disparu un soir par la cheminée au milieu d’un tourbillon, sans qu’on entendit plus jamais parler d’eux.

Pour ce qui est de cela, cependant, la chose n’arriva jamais. Tous les soirs, on retrouvait à leur même place le chat, Paul et Mme Pipchin. Paul, évitant la compagnie de Bitherstone, faisait chaque soir une étude approfondie de Mme Pipchin, puis du chat, puis du feu ; on eût dit qu’il lisait un ouvrage de nécromancie en trois volumes.

Mme Wickam, de son côté, cherchait à s’expliquer les bizarreries du caractère de Paul, et comme elle n’avait, de la chambre qu’elle habitait, d’autre distraction que la vue des tuyaux de cheminées et que le bruit du vent, elle s’enfonçait de plus en plus dans ses idées noires ; la vie triste qu’elle menait, une vie de chien, suivant son expression énergique, lui faisait tirer des prémisses connues les conséquences les plus tristes pour le petit bonhomme.

Mme Pipchin, par politique, avait expressément défendu à sa bonne, à sa petite gueuse, nom générique qu’elle donnait indistinctement à toutes les servantes, d’avoir le moindre rapport avec Mme Wickam. Pour voir si elle était obéie, elle passait la majeure partie de son temps à se cacher derrière les portes et à tomber à l’improviste sur la pauvre fille, quand elle s’approchait de la chambre de Mme Wickam. Mais Berry pouvait avoir de ce côté toutes les familiarités qu’elle voulait, pourvu que les mille soins qui l’occupaient du matin au soir n’en souffrissent pas ; aussi c’était à Berry que Mme Wickam confiait toutes ses peines.