Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/182

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tres de votre hôtel. J’y ai déjà pensé, et j’ai pris toutes mes mesures. Il n’est pas besoin, monsieur, de me chasser à prix d’or. Considérez-vous Stepney-Fields comme assez éloigné ? Si vous trouvez que c’est trop près, monsieur, je ne refuse pas d’aller plus loin. Je dirai, en empruntant les chants du poëte, dont je ne me rappelle pas exactement les paroles :

Jeté seul ici-bas, condamné à vivre errant,
Banni de mon asile, privé de mes parents ;
Étranger au bonheur, à tout ce qu’on nomme joie,
Voyez ce pauvre enfant, à la douleur en proie.

— Allons, Wegg, allons ! reprit l’excellent Boffin, vous êtes trop susceptible.

— Je le sais, monsieur, répondit l’autre avec une dignité opiniâtre. Je connais mes défauts ; j’ai toujours été susceptible ; oui, monsieur, dès ma plus tendre enfance.

— Écoutez moi, Silas. Vous vous fourrez dans la tête que je veux vous offrir de l’argent afin de vous éloigner ?

— Oui, monsieur, répondit Wegg de plus en plus digne. Je ne nie pas mes défauts ; je me le suis fourré dans la tête.

— Mais ce n’est pas là mon intention, Wegg. »

Cette assurance ne parut pas aussi agréable au littérateur que Noddy l’avait espéré ; ce fut même avec une figure de plus en plus longue que mister Wegg lui demanda si vraiment ce n’était pas là ce qu’il prétendait ? « Pas du tout, répliqua Boffin ; cela voudrait dire que je ne vous crois pas capable de gagner votre argent ; et vous l’êtes plus que personne.

— S’il en est ainsi, reprit Wegg sans dissimuler sa joie, c’est une autre paire de manches. Dès que je conserve mon indépendance, ma dignité d’homme est à couvert.

Et je ne maudis plus l’instant,
Où me trouvant chez les Boffins,
Le seigneur de la vallée s’approchant
Me fit une offre superfine.
Et la lune, ce soir,
Ne cache plus sa lumière,
Et ne pleure plus, derrière son voile noir,
Sur la honte du poëte qui est maintenant au Bower.

Veuillez continuer, mister Boffin.

— Il faut d’abord que je vous remercie, Wegg, de la confiance que vous me témoignez, et de votre fréquent retour à la poésie ; c’est une preuve d’amitié dont je vous suis bien reconnaissant.