Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/233

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vous ne pourrez pas payer. Je ne payerai pas pour vous, et l’on vous déportera pour le reste de vos jours.

— Oh ! non, gémit l’ivrogne. Pauvre malade, je ne serai pas longtemps à charge aux autres !

— Allons, dit la petite personne en frappant sur la table, et en hochant la tête et le menton, vous savez ce qu’il faut faire : donnez votre argent ; allons, vite. »

La brute se mit à fouiller dans ses poches.

« Une somme énorme que vous avez dépensée, j’en suis sûre ; nous allons bien voir. Mettez là ce qui vous reste ; allons ! allons ! jusqu’au dernier farthing. »

Ce fut pour lui toute une affaire que de réunir la somme : cherchant dans cette poche où il ne se trouvait rien, ne cherchant pas dans celle-ci où il aurait dû fouiller ; cherchant une poche où il n’y en avait pas et n’en trouvant pas où il y en avait une.

« Est-ce tout ? demanda la maîtresse de la maison, lorsqu’il y eut sur la table un monceau de schellings et de pence.

— Tout ce que j’ai, répondit l’ivrogne.

— Je n’en suis pas sûre ; allons, retournez vos poches, à l’envers, et qu’elles y restent. »

Si quelque chose pouvait le rendre plus abject et plus tristement ridicule, ce fut la manière dont il obéit à cette injonction.

« Je n’ai là que sept schellings, huit pence et un demi-penny, s’écria miss Wren après avoir compté l’argent. Vous voulez donc mourir de faim, prodigue que vous êtes ?

— Oh ! non, je vous en prie, ne me laissez pas jeûner, balbutia-t-il en pleurnichant.

— Si on vous traitait comme vous le méritez, répondit miss Wren, on vous nourrirait des brochettes qui enfilent la viande qu’on vend pour les chats, seulement des brochettes. Maintenant allez vous coucher. »

Il se leva péniblement, trébucha plusieurs fois et joignit les mains : « Des circonstances, bégaya-t-il, plus fortes que…

— Allez vous coucher, répéta miss Wren ; allons, vite ! »

Pressentant l’arrivée d’un quoi plus terrible que jamais, il se hâta d’obéir. On l’entendit se traîner lourdement dans l’escalier, et se jeter sur son lit. Un instant après, Lizzie était redescendue.

« Soupons-nous, chère mignonne ? dit-elle en entrant.

— Miséricorde ! il le faut bien, répondit miss Wren en haussant les épaules ; on a grand besoin de prendre des forces. »

Lizzie étendit la nappe devant la pauvre créature, y plaça la maigre pitance qui composait leur ordinaire, prit une chaise et se mit à table. « À quoi pensons-nous, mignonnette ?