Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/239

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c’est mon appui ; n’est-il pas vrai ? Fort bien ; j’agirai pour vous. »

Le candidat lui a rendu grâces, et lui a dit que Twemlow était à l’œuvre, qu’il agissait déjà. Podsnap a désapprouvé que quelqu’un eût agi avant lui ; c’était un manque de déférence ; mais il le passait à Twemlow, une vieille femme, bien apparentée, et complètement inoffensive.

« Je n’ai rien de particulier à faire aujourd’hui, a continué Podsnap, et vais aller voir quelques personnes influentes. J’étais invité à dîner ; mais j’enverrai mistress Podsnap, et j’irai dîner chez vous ; il est important que nous sachions ce qui a été fait, et que les notes soient comparées. Voyons un peu ; il nous faudrait une couple d’hommes énergiques, ayant l’usage du monde, et qu’on pût envoyer de côté et d’autre.

— Boots et Brewer ? a insinué Vénéering après un instant de réflexion.

— Que j’ai vus chez vous ? dit Podsnap ; très-bien. Qu’ils prennent chacun un cab et qu’ils se mettent en campagne. »

Vénéering n’a su comment exprimer la béatitude qu’il éprouvait d’avoir un ami doué d’une si haute capacité administrative. Cette mise en campagne de Boots et de Brewer l’enchante ; une idée vraiment électorale, et qui porte à s’y méprendre le cachet des affaires. Quittant Podsnap au galop, Vénéering s’est abattu chez les deux gentlemen, qui se sont ralliés avec enthousiasme, se sont élancés chacun dans un cab, et ont pris deux directions opposées.

Vénéering se rend maintenant auprès du confident de Britannia ; il opère avec lui certaines transactions délicates et adresse une profession de foi aux électeurs indépendants du bourg de Vide-Pocket. Il leur annonce qu’il revient parmi eux, pour briguer leurs suffrages, comme le marin, longtemps absent, retourne au séjour de sa première enfance. Jamais il n’a mis les pieds dans ce village, et ne sait même pas au juste où il est situé ; mais la phrase n’en est pas moins excellente.

De son côté missis Vénéering ne reste pas oisive. À peine les chevaux sont-ils attelés qu’elle est dans la voiture, et se fait conduire chez lady Tippins.

Cette charmeresse demeure dans les parages aristocratiques, au-dessus d’une corsetière, dont la montre possède une figure à mi-corps, de grandeur naturelle, et d’une beauté distinguée, en jupon bleu, ayant un lacet dans la main, et regardant les passants par-dessus l’épaule avec un air de surprise et d’innocence. Il y a de quoi être surprise, en effet, de se trouver s’habillant dans un pareil endroit.