Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/252

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rien à faire, excepté quelques-uns, pour la plupart asthmatiques et lippus ; ceux-ci étaient armés de porte-crayons en or, que les énormes bagues de leurs index rendaient difficiles à tenir, et sans cesse démontraient aux autres comment on fait fortune. Enfin ils juraient tous comme des palefreniers ; et leurs gens d’écurie, moins habiles et moins respectueux que les autres, semblaient aussi loin du type de leur état, que leurs maîtres de celui de gentleman.

Fledgeby n’était pas de cette espèce ; il avait la joue comme une pêche, ou plutôt composée de la pêche et du mur de brique trois fois rouge sur lequel elle mûrit. C’était un jeune homme très-gauche, très-mince (ses ennemis disaient très-maigre), avec de petits yeux, des cheveux jaunes, et qui se cherchait sans cesse des favoris et des moustaches attendus avec impatience. Cette recherche soumettait son esprit à des fluctuations continuelles, et le faisait passer de la confiance au désespoir. Il y avait des moments où il s’écriait : « Par Jupiter ! les voilà donc ! » Il y en avait d’autres où, complètement découragé, il secouait la tête, et n’y comptait plus. Le voir dans ces moments de déception, la main, qui lui en avait donné la certitude, soutenant cette joue qui refusait de produire, et le coude appuyé sur le coin de sa cheminée, comme sur une urne funéraire contenant les cendres de son ambition, était quelque chose de navrant.

Ce n’est pas de la sorte que nous le voyons aujourd’hui. Magnifiquement vêtu, le claque sous le bras, ayant tiré de l’examen de son visage des conclusions consolantes, il se livre à de menus propos avec mistress Lammle. Pour rendre hommage à l’exiguïté de ses discours et à ses manières saccadées, les familiers de Fledgeby l’ont surnommé Fascination, et ne l’appellent jamais autrement ; toutefois, quand il n’est pas là.

« Fait chaud, missis Lammle, dit-il.

— Moins chaud qu’hier, répond Sophronia.

— Possible, reprend Fascination, qui a la répartie prompte. Mais je crois que demain il fera diablement chaud. » Après une pause, il jette un nouvel éclair. « Sortie aujourd’hui, missis Lammle ? »

Elle a fait une petite course en voiture.

« Certaines gens ont l’habitude des longues promenades, poursuit-il ; mais, s’ils les font trop longues, ils dépassent le but. »

Ainsi en haleine, il pourrait lui-même se surpasser dans sa prochaine saillie, si miss Podsnap n’était pas annoncée. Sophronia vole au-devant de sa chère petite, elle lui prodigue ses caresses, et, les premiers transports calmés, lui présente Fledgeby.