Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/265

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longs cheveux gris flottants qui se mêlent avec la barbe. Un vieillard, qui, d’un geste oriental plein de grâce, incline le front et avance les mains, la paume tournée vers la terre, comme pour apaiser le courroux d’un supérieur.

« Où étiez-vous donc ? reprend Fledgeby dont la colère éclate.

— Généreux chrétien, répond le juif, c’est aujourd’hui fête ; je n’attendais personne.

— Au diable les fêtes ! dit Fledgeby en entrant. Est-ce que le dimanche vous regarde ? Fermez la porte. »

Le vieillard s’incline et s’empresse d’obéir. Sur le carré, pendu à un clou, est son chapeau à forme basse, à larges bords, aussi vieux que la houppelande, et rouillé par le temps. Son bâton est dans le coin, près du chapeau ; non pas une canne, un vrai bâton. Fledgeby entre dans la pièce où est la caisse. Il se perche sur un tabouret, et retrousse le bord de son chapeau. Quelques boîtes légères sont posées sur les planches dont la pièce est garnie. Des rangs de fausses perles, accrochées de côté et d’autre ; des horloges de pacotille, des vases de fleurs communes, différents objets, rien que des bibelots de fabrique étrangère, sont là comme échantillons. Perché sur son tabouret, le chapeau sur la tête, et les jambes pendantes, le jeune Fascination n’a guère meilleur aspect que le vieux juif qui est près de lui, tête découverte et les yeux baissés. Les vêtements du vieillard ont pris cette teinte de rouille que nous a présenté le feutre accroché sur le carré ; ils sont pauvres, mais n’ont pas l’air ignoble ; tandis que pour Fledgeby c’est justement le contraire.

« Vous ne m’avez toujours pas dit ce que vous faisiez, reprend celui-ci en se grattant la tête avec le bord de son chapeau.

— Je prenais l’air, monsieur.

— Dans la cave, sans doute, que vous n’entendiez pas sonner ?

— Non, monsieur ; j’étais sur la maison.

— Est-ce là qu’on fait des affaires ?

— Monsieur, répond le vieillard d’un air grave et patient, pour faire des affaires il faut être au moins deux ; et la fête me laissait seul.

— On n’est pas à la fois l’acheteur et le vendeur, reprend Fledgeby, n’est-ce pas comme cela que disent les Juifs ?

— Je n’en sais rien, monsieur ; dans tous les cas ce serait la vérité, répond le vieillard avec un pâle sourire.

— Il faut bien la dire quelquefois ; vous mentez assez souvent.

— Le mensonge, monsieur, réplique le vieillard avec calme, est trop commun chez les hommes, quelle que soit leur nation. »

Un peu déconcerté, Fledgeby se gratte de nouveau la tête avec son chapeau pour se donner le temps de réfléchir.