Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/268

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— J’aimerais à connaître le chiffre de votre avoir, reprend Fledgeby, qui caresse cette fiction des économies du vieillard, et se plaît à supposer que le juif a dû s’enrichir avec ce qu’il lui donne. Mais avant que je m’en aille, poursuit-il, montrez-moi votre jardin.

— C’est que, dit le vieillard avec hésitation, à vous parler franchement… j’y ai de la compagnie.

— Par saint Georges ! s’écrie le maître, à qui appartient la maison ?

— Elle est à vous, monsieur ; et je n’y suis que votre serviteur.

— Je pensais que vous l’aviez oublié, reprend Fledgeby, qui cherche sa barbe en regardant celle de Riah. Ainsi vous recevez chez moi ?

— Venez voir, monsieur, les personnes que je me permets d’y introduire, et vous reconnaîtrez qu’elles ne peuvent faire aucun mal. »

Passant le premier en faisant un salut, que, par parenthèse le gentleman n’aurait jamais pu obtenir de sa tête et de ses mains, le vieillard se mit à monter l’escalier. Tandis qu’il avançait, les doigts sur la rampe, traînant sa longue redingote noire, véritable manteau, dont il drapait chaque marche tour à tour, on l’aurait pris pour le chef d’une pieuse caravane, allant en pèlerinage au tombeau d’un prophète. À l’abri de pareilles idées, Fledgeby se demandait seulement quel âge pouvait avoir cet homme quand sa barbe avait commencé à poindre ; et il songea de nouveau à la part avantageuse que cet accessoire prenait au rôle du vieux juif.

Quelques marches de bois, placées sous un appentis qui les obligeait à se courber, les conduisirent au faîte de la maison. Arrivé à la dernière marche, le vieillard se retournant vers Fledgeby, lui désigna ses hôtes : Lizzie Hexam et Jenny Wren. Par un vieil instinct de sa race, le bon juif avait étendu pour elles un morceau de tapis sur le plomb de la toiture. Elles y étaient assises, et avaient pour dossier un groupe de tuyaux noirs sur lequel s’élevait une plante sarmenteuse qu’on y avait palissée. Les deux jeunes filles étaient penchées au-dessus d’un livre ; deux visages attentifs : celui de miss Wren plus intelligent ; celui de Lizzie plus appliqué. À côté d’elles étaient deux ou trois volumes, et deux paniers ; l’un renfermait quelques mauvais fruits ; l’autre, quelques rangs de perles, et des bouts de clinquant. Un petit nombre de caisses, où végétaient d’humbles fleurs, et quelques arbustes à feuilles persistantes, complétaient le jardin. Autour de cet oasis, océan d’antiques cheminées, vieilles douairières, qui faisaient tournoyer leurs capuchons,