Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/289

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Arrive, la barre au vent, serre-le de près ;
Bout de vergue à bout de vergue oppose.
De nouveau, je te crie, mister Vénus, donne-lui une autre dose.
À l’abordage, monsieur ! autrement il s’enfuirait.

En homme que l’on doit tenir pour un chêne britannique, oui monsieur, car tel vous êtes, expliquez-moi cette parole ; qu’entendez-vous par ces papiers ?

— Si l’on considère, répond Vénus, que le vieux gentleman avait brisé toute relation avec ses proches, fermé son cœur à tout sentiment naturel, on en vient à penser qu’il a dû faire un certain nombre de testaments et de codicilles. »

La main du littérateur s’abaisse et frappe celle de Vénus avec un bruit pareil au claquement de langue des gourmets, « Jumeaux d’opinion, comme de sentiment ! s’écrie Silas avec enthousiasme. Un nouveau grog, mister Vénus. »

Le littérateur, dont la jambe de bois et la chaise sont maintenant tout près de l’homme aux squelettes, fait rapidement un mélange de rhum et d’eau chaude pour Vénus et pour lui. Il présente l’un des verres à l’artiste, prend le sien, en touche le bord de l’autre, le porte à ses lèvres, le repose sur la table ; et mettant ses deux mains sur les genoux de son visiteur, il lui parle en ces termes : « Ce n’est pas, mister Vénus, que je me plaigne d’être mis à l’écart pour cet étranger, bien que je n’aie pas plus d’estime pour lui que pour une pratique insolvable. Ce n’est pas par intérêt, bien que l’argent soit une bonne chose et que je ne sois pas assez orgueilleux pour dédaigner quelque profit ; c’est par amour pour la morale. »

Mister Vénus, dont les yeux rouges clignent tout à coup, demande à mister Wegg ce qu’il veut dire.

« Je parle d’un petit arrangement à faire entre nous ; vous le voyez d’ici.

— Jusqu’à présent je ne vois rien, mister Wegg.

— Si quelque chose doit être découvert, mon cher Vénus, découvrons-le ensemble. Convenons amicalement de nous associer pour les recherches ; convenons amicalement de partager les profits. Et cela, par amour pour la morale, ajoute Silas d’un ton rempli de noblesse.

— Alors, répond Vénus en relevant les yeux, après avoir médité un instant, les mains dans sa chevelure, comme s’il ne pouvait fixer son attention qu’en se tenant la tête, si nous faisons quelque trouvaille, la chose se passera entre nous ; et le secret devra être gardé : n’est-ce pas comme cela qu’il faut l’entendre ?

— Cela dépendra, mister Vénus. Supposez que ce soient des