Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/302

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Après avoir réfléchi quelque temps, il indiqua les environs du jardin de Tower-Hill, près de Trinity-House. Ils y arrivèrent en cinq minutes ; et Bella, en renvoyant le coupé, chargea le domestique d’un billet au crayon pour missis Boffin, à qui elle annonçait qu’elle était avec son père.

« Maintenant, Pa, écoutez bien ce que je vais vous dire, et promettez moi d’être obéissant.

— Je te le jure, ma belle.

— D’abord, pas de réplique. Vous ailes prendre cette bourse, vous irez dans le magasin de confection le plus rapproché ; vous y acheterez un habillement complet ; tout ce qu’il y aura de plus cher : le plus beau chapeau, la plus belle paire de bottes, cuir breveté, n’oubliez pas. Vous mettrez tout cela ; et vous viendrez me retrouver.

— Mais Bella

— Prenez garde, Pa, dit-elle en le menaçant du doigt, vous avez juré d’obéir. » Les yeux du pauvre chérubin s’humectèrent ; Bella, qui elle-même avait les paupières humides, les sécha d’un baiser, et Rumty s’éloigna de nouveau.

Une demi-heure après il était revenu, et si brillamment transformé que, dans son admiration, Bella ne put s’empêcher de tourner vingt fois autour de ce pauvre père avant de lui prendre le bras. « Maintenant, dit-elle, en se serrant contre lui, il faut emmener cette jolie femme, et la faire dîner quelque part.

— Où cela, ma chère ?

— À Greenwich, répondit-elle bravement ; surtout ne manquez pas de lui offrir ce qu’il y aura de meilleur. »

Se dirigeant vers la Tamise, afin de prendre le bateau, il demanda timidement à Bella si elle n’aurait pas désiré que sa mère fût de la partie.

« Pas du tout ; je suis trop contente de vous avoir à moi toute seule. J’étais votre préférée ; je veux l’être encore. Ce n’est pas la première fois que nous nous sauvons pour nous promener ensemble ; vous rappelez-vous, cher Pa ?

— Si je me le rappelle ! Bien souvent le dimanche, lorsque ta mère était un peu…, tu sais, elle y est sujette, dit-il, après une petite toux.

— Oui, Pa ; et je crois bien n’avoir jamais été sage. Pauvre Pa ! comme j’étais mauvaise ! je me faisais toujours porter ; vous auriez dû me mettre à terre. Je vous obligeais à faire le dada, et à galoper quand vous auriez bien mieux aimé vous asseoir et lire votre journal. N’est-il pas vrai, cher Pa ?

— « Quelquefois. Mais seigneur ! la belle enfant ! et quelle aimable compagne !