Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/314

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entendre ce qu’il disait. Le pauvre bébé voulait savoir si tous les enfants qui se trouvaient là étaient ses frères et sœurs ? On lui répondit affirmativement. Si c’était le bon Dieu qui les avait mis tous ensemble ? Même réponse affirmative. S’ils allaient tous guérir ? Bien certainement ; et l’on ajouta qu’il serait du nombre.

La parole était si peu développée chez Johnny, même quand il se portait bien, que maintenant il ne s’exprimait guère que par monosyllabes ; il n’en fut pas moins compris.

Mais il fallait le nettoyer, l’arranger, lui appliquer le traitement qu’il devait suivre, et bien que tout cela fût exécuté avec plus de soin et d’adresse que tout ce qui avait été fait pour lui depuis qu’il était au monde, on l’aurait fatigué, sans une circonstance merveilleuse qui l’absorba complétement. Rien moins que l’apparition sur sa petite table de tous les animaux du globe, qui se dirigeaient vers l’arche dont il était possesseur : l’éléphant à la tête du cortège, la mouche à l’arrière-garde. Le ravissement qu’un tout petit frère, couché dans le lit voisin, et qui avait la jambe cassée, éprouva de ce spectacle en augmenta singulièrement l’effet ; puis le sommeil les prit tous les deux au milieu de cette extase.

« Vous ne craignez pas de laisser ici le cher trésor ? dit tout bas missis Boffin à la grand’mère.

— Non, madame ; je le fais bien volontiers ; et que de reconnaissance ! oh ! merci de tout mon cœur. »

Elles embrassèrent l’enfant, et partirent. Missis Higden reviendrait le lendemain matin ; la chose était convenue. Elle ignorait, ainsi que missis Boffin, ces paroles du docteur : « maintenant il est trop tard. »

Rokesmith, qui était dans la triste confidence, sachant que cette démarche serait agréable à l’excellente femme qui avait été la seule joie de l’enfance de John Harmon, revint dans la soirée, afin de juger de l’état du petit malade que l’on appelait ainsi en mémoire de celui qui n’était plus.

Si tous les membres de la petite famille que Dieu avait rassemblée n’étaient pas endormis, tous du moins étaient tranquilles. Le pas léger d’une femme allait d’un lit à l’autre, et à la lueur assoupie des lampes on voyait passer un visage calme et doux. Çà et là une petite tête se soulevait pour être embrassée, car les pauvres petits étaient caressants ; et le baiser reçu, la petite tête se laissait recoucher sans mot dire.

Le petit frère à la jambe cassée gémissait ; il s’agita pendant quelques minutes, puis il tourna les yeux vers la tablette voisine, afin de revoir tout le personnel de l’arche, et s’endormit en regardant l’éléphant. Restés sur les tablettes dans la position où ils se