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de nœuds, il offrait çà et là, dans ses contorsions, une apparence de ramée ; et dans cette seconde enfance, il avait l’air de jaser des hauts faits de sa jeunesse. Ce n’était pas sans raison que les habitués de la taverne assuraient, lorsque la lumière donnait en plein sur les veines de certains panneaux, principalement sur une vieille encoignure placée dans le bar[1] qu’on pouvait y reconnaître de petites forêts d’arbres minuscules et feuillus, tout pareils à celui d’où le meuble était sorti.

Impossible de voir sans émotion le bar des Six-Portefaix. L’espace demeuré libre n’y était guère plus grand que l’intérieur d’un carrosse de louage ; mais personne ne l’aurait souhaité plus vaste. Il était si bien entouré de petites futailles rondelettes, de filets remplis de citrons, de corbeilles pleines de biscuits, de flacons tout rayonnants des grappes de raisin qui décoraient leur étiquette, de pots de bière, de chopines étincelantes, qui, en leur versant à boire, faisaient de profonds saluts aux chalands, d’un quartier de fromage dans un bon petit coin, et de la petite table de l’hôtesse, qui, placée près du feu dans un coin meilleur, avait la nappe toujours mise.

Ce bar, véritable port, était séparé du monde orageux par un vitrage percé d’une porte coupée, ayant pour appui une tablette de plomb assez large pour qu’on pût y poser son verre. Mais l’éclat et le bien-être de ce réduit jetaient en dehors un si doux reflet, que, bien que derrière cette porte, ils fussent dans un passage étroit et sombre, où ils étaient coudoyés par les allants et les venants, tous les buveurs s’y croyaient dans le bar même.

La salle qui donnait sur la rivière était décorée de draperies rouges, assorties aux nez des habitués. On y voyait un foyer confortable, muni d’ustensiles de fer blanc pareils à des moules à pain de sucre, et affectant cette forme pour qu’on pût les nicher dans les profondeurs du brasier, et faire ainsi chauffer son purl ou son ale, son flip ou son dog’s nose. Le premier de ces breuvages délectables était une spécialité des Joyeux-Portefaix, qui, à cet égard, faisaient appel à vos sentiments, par l’inscription suivante, placée sur l’un des montants de la porte :


Maison du Purl matinal.


Le purl, à ce qu’il paraît, doit toujours être pris de bonne heure. Est-ce parce que l’oiseau matinier, s’emparant du ver qui lui échapperait plus tard, le purl du matin doit saisir la pratique ? Est-ce en raison d’un autre principe d’hygiène ? Personne n’a jamais pu le savoir.

  1. Endroit du cabaret où est placé le comptoir.