Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/62

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j’ai jamais pu le contenter. Pourquoi ça qu’je n’le contentais pas ? Je vas vous le dire ; c’est pace que j’avais du malheur. J’n’en trouvais guère, moi. Et comment avait-i’ de la chance ? car il en avait toujours, lui. Remarquez-l’ben, il en avait toujours. Ah ! c’est qu’, voyez-vous, miss Abbey, y a beaucoup de jeux où c’qui n’y a que du bonheur, mais y en a beaucoup d’autres où, avec ça, faut de l’adresse.

— Que Gaffer soit habile à trouver ce qu’il cherche, personne n’en doute, répliqua miss Abbey.

— Oui ; mais aussi il est p’t-êt’ habile à se pourvoir de c’qu’i’trouve, » dit Riderhood, en secouant sa méchante tête.

Miss Abbey lui jeta un coup d’œil sévère ; il la regarda d’un air sombre et continua :

« Si vous étiez su’ la rivière au moment de la marée, dit-il et que vous ayez besoin d’y trouver un homme ou une femme, vous pourriez joliment aider la chance en donnant au quidam un bon coup su’le crâne. Comme ça, on l’enfonce avant d’le repêcher.

— Bonté divine ! s’écria miss Abbey.

— Écoutez-moi, reprit l’autre, en se pliant au-dessus de la porte, afin de jeter ses paroles dans le bar, car il n’était pas moins enroué que s’il avait eu son faubert dans la gorge. Écoutez, miss Potterson, je n’vous dis qu’ça : je l’ai suivi pendant vingt ans ; remarquez-l’bien. Jo finirai par le dire, miss Abbey. Qu’est-ce qu’il est, pour avoir une fille comme la sienne ? Moi aussi, j’en ai une… »

Après avoir dit ces mots comme en se parlant à lui-même, Riderhood, un peu plus ivre et beaucoup plus féroce qu’au début, prit son chapeau et s’éloigna en chancelant.

Gaffer n’était pas là, mais il y avait dans la salle un assez bon nombre d’élèves qui tous faisaient preuve d’une grande obéissance dès qu’ils en étaient priés.

Au coup de dix heures, miss Potterson apparut à la porte du bar, et, s’adressant à un homme en veste ponceau :

« Georges, lui dit-elle, il faut partir ; il est temps ; j’ai promis à votre femme que vous seriez exact. »

Georges se leva d’un air soumis, souhaita le bonsoir et se retira.

Une demi-heure après, miss Potterson reparut.

« William, Jonathan et Bob Glamour, dit-elle, vous n’avez que le temps de vous rendre. »

Ils prirent congé des autres avec la même douceur, et tous les trois s’éclipsèrent.

Plus grande merveille encore : un personnage coiffé d’un chapeau