Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/70

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quand Charley, s’étant précipité vers elle, lui jeta les bras autour du cou, sa force l’abandonna, et ses larmes éclatèrent.

« Ne pleure pas, Liz, ne pleure pas ; je suis content de partir ; oui, sœur, je suis content ; si tu me renvoies, est-ce que ce n’est pas pour mon bien ?

— Oui ! Charley, Dieu le sait !

— J’en suis sûr, Liz ; ne fais pas attention à ce que j’ai dit ; oublie-le. Embrasse-moi. »

Après un instant de silence, elle se détacha de son frère pour s’essuyer les yeux et reprendre le calme et la force dont elle avait besoin.

« Chéri, dit-elle, il faut que la chose arrive ; nous le savons tous les deux ; et il y a des raisons pour qu’elle se fasse tout de suite. Va droit à l’école ; tu leur diras que c’est convenu avec moi ; qu’il n’y a pas eu moyen de faire consentir mon père ; qu’il ne les tourmentera pas ; mais qu’il ne te reverra jamais. Tu leur fais honneur ; tu seras un meilleur élève, à présent que tu travailleras davantage, et ils t’aideront à te procurer un état. Montre-leur tes effets ; montre aussi ton argent ; tu leur diras que j’en enverrai d’autre. Si je n’en gagne pas assez, je prierai ces deux gentlemen qui sont venus un soir, de m’en prêter un peu.

— Non ! s’écria vivement Charles, ne demande rien à ce monsieur qui m’a pris par le menton ; ne reçois pas d’argent de ce Wrayburn. »

Peut-être y eut-il un peu de rougeur sur la figure de Lizzie, tandis que, faisant un signe affirmatif, elle mettait la main sur la bouche de son frère pour réclamer son attention.

« Par-dessus tout, Charley, rappelle-toi bien ce que je vais te dire : ne parle jamais mal de notre père ; n’oublie pas ce qui lui est dû. Tu peux avouer que, n’ayant reçu aucune éducation, il ne veut pas que tu t’instruises ; mais voilà tout. Dis bien que ta sœur lui est sincèrement attachée ; tu sais combien c’est vrai. Enfin, si jamais tu entends dire contre lui quelque chose que tu ne savais pas, sois bien sûr, Charley, que c’est une fausseté. »

Le gamin leva sur elle des yeux surpris ; mais elle continua sans y faire attention :

« Oui, chéri, une fausseté ; ne l’oublie pas. Je n’ai plus rien à te recommander, excepté d’être bon, et de devenir bien savant. Puis quand tu songeras à la vie d’autrefois, ne pense à certaines choses que comme à un rêve que tu aurais fait la veille. Adieu, mon bien chéri ! »

Malgré son âge, elle mit dans ces dernières paroles une tendresse qui tenait bien plus de celle d’une mère que de l’affection