Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 1.djvu/73

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Il regarda son couteau ; mais, dans son étonnement, il le conserva sans savoir.

— Père, c’est horrible ! Oh ! je vous en prie, lâchez-le ! »

Non moins consterné de l’aspect de sa fille que surpris de ses exclamations, il jeta son couteau et se leva en étendant les mains.

— Qu’est-ce qui te prend, Liz ? As-tu pu croire que je voulais te frapper avec ça ?

— Non, père, non ; vous ne voudriez pas me faire de mal.

— À qui voudrais-je en faire, je te le demande ?

— À personne, je le sais bien ; je le dis à genoux, du fond de mon cœur et de mon âme, père, j’en suis bien sûre. Mais c’était affreux ; on aurait dit !… Elle se couvrit de nouveau la figure de ses mains.

— Qu’aurait-on dit, enfant ?

Le souvenir de ce geste meurtrier, joint aux émotions qu’elle avait subies depuis la veille, la fit tomber aux pieds de son père, avant d’avoir pu répondre.

Jamais il ne l’avait vue s’évanouir. Il la releva doucement avec une tendresse infinie, l’appelant la meilleure des filles, ma pauvre jolie créature ! Et lui posant la tête sur ses genoux, il essaya de la faire revenir à elle. N’y parvenant pas, il la recoucha par terre avec un soin extrême, alla chercher un oreiller, le glissa sous ses cheveux noirs, et prit la bouteille d’eau-de-vie pour lui en donner un peu ; mais il n’en restait plus. La bouteille à la main, il s’élança vers la porte, s’éloigna en courant, et revint bientôt, rapportant la bouteille vide.

Il s’agenouilla devant sa fille, lui souleva la tête, qu’il soutint du bras gauche, trempa ses doigts dans un peu d’eau, et lui en mouilla les lèvres.

Puis, fixant tantôt les yeux sur elle, tantôt les promenant autour de la chambre :

« Est-ce que nous avons la peste ? dit-il d’un air sombre ; est-ce qu’il y a du poison dans mes habits ? est-ce qu’un sort est tombé sur nous ? Mais qui donc nous l’a jeté ?


VII

OÙ MISTER WEGG CHERCHE UNE PARTIE DE LUI-MÊME


Silas Wegg se dirige vers la chute de l’empire romain, et s’y rend par Clerkenwell. Il est encore de bonne heure ; mister Wegg