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L’AMI COMMUN

Bradley. À vrai dire, il suffirait pour cela d’une personne médiocre. Mais puis-je vous demander, monsieur, pourquoi vous avez rapproché ces deux noms ? J’espère que ma question n’est pas indiscrète.

— Simple hasard, répondit Rokesmith. Croyant voir qu’il vous était peu agréable de parler de mister Wrayburn, j’ai voulu changer de conversation, et ne l’ai pas fait d’une manière satisfaisante.

— La connaissez-vous ? demanda Bradley.

— Pas du tout.

— Alors ce n’est pas ce qu’il aurait dit qui a été cause du rapprochement de ces deux noms ?

— Vous pouvez-en être sûr.

— Si je prends la liberté de vous demander cela, dit Bradley après avoir regardé le tapis, c’est que, dans son insolente fatuité, il est capable de tenir les propos les plus extravagants. J’espère, monsieur, que vous ne vous méprenez pas sur le sens de mes paroles. Je… Je porte le… plus grand intérêt au frère ainsi qu’à la sœur ; et ce sujet éveille en moi des sentiments très-profonds et très-vifs. » Il tira son mouchoir et s’essuya le visage. Le secrétaire pensa qu’il venait en effet de s’ouvrir un canal par lequel il aurait sur miss Hexam tous les renseignements qu’il pourrait désirer ; mais que selon toute apparence c’était un canal plein d’orages et difficile à sonder. Tout à coup Bradley domina ses émotions tumultueuses, et affrontant le regard du secrétaire, parut lui demander ce qu’il apercevait en lui.

« Vous désiriez, tout à l’heure, savoir qui vous a fait appeler dans cette maison, dit Rokesmith ; c’est au jeune Hexam que vous le devez. Mister Boffin a su par mister Lightwood qu’il était votre élève, et c’est ainsi qu’il vous a connu. Si je vous ai questionné à l’égard de ce jeune homme et de sa sœur, cela vient simplement de l’intérêt qu’ils m’inspirent ; intérêt qu’il m’est facile d’expliquer : vous n’ignorez pas que c’est leur père qui a trouvé le corps de John Harmon ?

— Je connais tous ces détails, monsieur, répondit Bradley, dont l’agitation était excessive.

— Dites-moi je vous prie, mister Headstone, miss Hexam a-t-elle eu à souffrir de cette accusation, dénuée de tout fondement, qui s’est élevée contre son père, et qui vient d’être anéantie par le dénonciateur lui-même ?

— Non, monsieur, répondit Bradley avec une sorte de fureur.

— Je m’en réjouis, dit le secrétaire.

— La sœur d’Hexam, reprit l’autre en s’arrêtant à chaque mot, et en ayant l’air de répéter une leçon, n’a encouru aucun