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L’AMI COMMUN.

sible. Il y pensa tant et si bien, qu’il résolut de gagner l’appartement des deux amis, si toutefois le gardien du Temple voulait bien l’introduire.

Son visage effaré, pareil aux spectres des têtes qui décoraient jadis la porte voisine de Temple-Bar, traversa donc la rue, et s’arrêta en face du watchman.

« Que voulez-vous ? demanda celui-ci en regardant ce visage sinistre.

— Mister Wrayburn.

— Il est bien tard.

— Mister Wrayburn, je le sais, est rentré avec mister Lightwood, depuis environ deux heures. S’il est au lit je mettrai un mot dans sa boîte ; je suis attendu. »

Le watchman ouvrit la porte sans rien dire, bien qu’avec une certaine répugnance ; néanmoins il se rassura en voyant le visiteur se diriger d’un pas rapide vers l’endroit indiqué. La tête effarée d’Headstone flotta jusqu’en haut de l’escalier obscur, et s’abaissa au niveau du seuil de l’appartement des deux amis. Les portes des chambres paraissaient être ouvertes ; un rayon lumineux s’échappait de l’une d’elles, un bruit de pas s’y faisait entendre. Deux voix résonnèrent : des paroles indistinctes ; mais c’étaient des voix d’homme. Elles se turent, les pas s’arrêtèrent, la lumière s’éteignit.

Si Mortimer avait pu voir, l’écoutant dans l’ombre, cette figure qui l’empêchait de dormir, il aurait été moins que jamais disposé au sommeil.

« Elle n’y est pas, dit Bradley ; mais elle peut y avoir été. » La tête effarée se releva, reprit son ancien niveau au-dessus du sol, flotta jusqu’en bas de l’escalier et regagna la porte du Temple. Un homme était là qui parlementait.

« Tenez, le voilà, répondit le gardien à cet homme.

Voyant qu’il était question de lui, Bradley détourna ses yeux du watchman, et les arrêta sur le nouveau venu.

« Cet homme, expliqua l’agent du guet, apporte une lettre pour mister Lightwood, et je lui disais qu’une personne venait précisément de monter chez ce gentleman ; c’est peut-être pour la même affaire.

— Non, répondit Bradley en jetant un coup d’œil sur l’étranger qu’il ne connaissait pas.

— Non, grogna l’autre de son côté : ma lett’, c’est ma fille qui l’a écrite, elle est d’moi tout d’même ; — ma lett’ que j’dis, est pour mon affaire ; et mon affaire ne regarde personne que moi. »

Bradley franchit la porte d’un pied mal assuré ; elle se referma