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L’AMI COMMUN.

Un bruit léger le tira bientôt de sa rêverie : c’était Bella, qui, enveloppée de ses cheveux, la brosse à la main, et les pieds nus, arrivait tout doucement pour lui souhaiter le bonsoir.

« Tu es vraiment, cher ange, ce qu’on appelle une jolie femme, dit-il en prenant l’une des boucles de cette opulente chevelure.

— Eh bien ! la jolie femme vous donnera de ces cheveux à l’occasion de son mariage, elle vous en fera une chaîne ; attacherez-vous quelque prix à ce souvenir ?

— Oui, mon trésor.

— Vous l’aurez donc, si vous êtes sage. En attendant, je suis bien fâchée du trouble que j’apporte dans la maison.

— Ne t’inquiète pas de cela, mignonne, dit le Chérubin de la meilleure foi du monde ; tu ne serais pas venue, qu’il en aurait été de même. Ta mère et ta sœur trouvent toujours, de temps en temps, le moyen d’être un peu fatigantes ; si ce n’est l’une, c’est l’autre ; nous ne sommes jamais sans quelque discussion. Rassure-toi ; tu n’en es pas cause. J’ai seulement peur que tu ne sois très-mal dans ton ancienne chambre : elle est peu commode, et la société de Lavvy…

— Soyez sans crainte, cher Pa.

— C’est qu’autrefois, mon ange, tu t’en plaignais beaucoup ; et tu n’étais pas, comme aujourd’hui, habituée…

— Je n’y ferai pas attention, je vous assure, cher Pa ; et vous savez pourquoi,

— Non, ma belle ; si ce n’est que tu as énormément gagné.

— Pas du tout ; c’est parce que je suis heureuse. »

Elle l’embrassa, l’inonda de ses longs cheveux, qui le firent éternuer, rit de tout son cœur, jusqu’à ce que lui-même se mît à rire ; puis elle l’étouffa sous ses baisers pour empêcher qu’on ne l’entendît. « Écoutez bien, reprit-elle en devenant sérieuse, ce soir quelqu’un, en ramenant la jolie femme, lui a dit la bonne aventure. Ce n’est pas une grande fortune qui l’attend ; car en supposant qu’un certain personnage obtienne la position qu’il espère, elle épousera cent cinquante livres par an, pour commencer. Mais quand cela n’augmenterait pas, la jolie femme n’en serait pas moins heureuse. Autre chose : il y a dans le jeu un certain blond, un petit homme, qui suivant le tireur de cartes, se retrouve toujours à côté de la jolie femme ; et qui aura dans la maison de cette dernière un petit coin paisible, comme on n’en a jamais vu. Allons, monsieur, dites-moi le nom du petit homme.

— N’est-ce pas un valet, demanda le Chérubin, en clignant de l’œil.