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L’AMI COMMUN.

celui-ci qu’une lady est sur le carré et demande si elle peut le voir.

« Une lady ! s’écrie Twemlow, en lissant son plumage ébouriffé. Priez cette lady de vous faire la grâce de vous dire son nom. »

Elle se nomme missis Lammle, et ne dérangera mister Twemlow qu’une minute. Elle est certaine que mister Twemlow la recevra ; il suffira de la nommer. Surtout que le domestique n’écorche par son nom. Si elle avait une carte, elle l’enverrait ; mais elle n’en a pas.

« Faites entrer », dit le gentleman ; et la dame est introduite.

Le petit logement de Twemlow est meublé d’une façon très-modeste, à l’ancienne mode (un peu comme la chambre de la femme de charge à Snigsworthy-Park) ; il ne s’y trouverait pas le moindre ornement, n’était une gravure qui représente le sublime Snigsworth regardant avec hauteur et mépris une colonne corinthienne, ayant à ses pieds un énorme rouleau de vélin, et derrière lui un rideau pesant qui va lui tomber sur la tête. Ces accessoires, on doit le comprendre, expliquent que le noble lord est représenté à l’instant où il sauve le pays.

« Madame, veuillez vous asseoir. »

Missis Lammle prend le siège qui lui est offert et entame la conversation.

« Vous avez appris notre revers de fortune, monsieur, je n’en doute pas ; ces nouvelles-là vont vite ; surtout chez les amis. » Twemlow, qui pense au dîner de Vénéering, avoue qu’en effet il l’a entendu dire.

« Après ce qui s’est passé entre nous, reprend missis Lammle d’un ton sec et mordant, qui fait reculer le doux gentleman, vous avez dû en être moins étonné que beaucoup d’autres ; et, si j’ai pris la liberté de venir, c’est pour ajouter une sorte de post-scriptum à ce que je vous ai dit ce certain jour. »

La perspective d’une nouvelle complication rend la figure de mister Twemlow encore plus sèche et plus terreuse. « Madame, dit-il avec un profond malaise, je regarderais comme une véritable faveur si vous vouliez bien ne pas pousser plus loin la confidence. Je me suis efforcé toute ma vie, qui malheureusement n’a guère eu d’autre but, efforcé d’être inoffensif, de rester en dehors de toute cabale, de toute ingérence. »

Douée d’infiniment plus de pénétration que le gentleman, Sophronia trouve inutile de regarder Twemlow quand il parle, tant il est facile de deviner ce qu’il ressent. « Mon post-scriptum, je conserve l’expression, dit-elle en le regardant cette