Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/316

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
312
L’AMI COMMUN.

assaisonna d’un regard et d’un coup de menton qui auraient ajouté aux misères de Fledgeby, si la douleur ne lui eût fait porter la main à ses yeux.

« Faut-il aller chercher la police ? demanda Jenny, en se dirigeant vers la porte.

— Non, non ! s’écria l’autre ; je vous en prie, n’y allez pas ; mieux vaut n’en rien dire ; ayez la bonté de fermer la porte. Oh ! que cela me cuit ! »

Comme preuve de l’intensité de la cuisson, il quitta son fauteuil, et se roula de nouveau avec rage. « Maintenant que la porte est fermée, reprit-il en s’asseyant sur le tapis, sa culotte turque à moitié tombée, et ses balafres noircissant à vue d’œil, maintenant que la porte est fermée, ayez l’obligeance de regarder mes épaules ; elles doivent être dans un terrible état, ainsi que mon dos ; car je n’avais pas ma robe de chambre quand il a fondu sur moi ! Coupez ma chemise ; il y a des ciseaux sur la table. Oh ! seigneur, que cela me cuit ?

— Là ? demanda, miss Wren en lui touchant l’épaule.

— Oui ! oh ! Seigneur ! et dans le dos, et partout, oh ! partout, partout. »

Elle eut bientôt coupé la chemise, et découvert les résultats d’une schlague aussi complète, aussi rude que Fledgeby lui-même avait pu la mériter.

« En effet, jeune homme, cela doit vous cuire, dit la petite habilleuse, qui se frotta les mains, et lui adressa derrière la tête plusieurs coups triomphants de ses deux index.

— Du papier gris, trempé dans du vinaigre, demanda-t-il en se balançant et en gémissant, qu’en pensez-vous ? Est-ce dans une condition à supporter le vinaigre ?

— Parfaitement, dit Jenny en riant tout bas ; on dirait que c’est fait pour être conservé. »

Ce dernier mot réveilla les plaintes du malheureux. « Allez dans la cuisine, sur le même carré, dit-il, vous trouverez du papier gris dans un tiroir, et le vinaigre sur la planche ; ayez la bonté de m’en faire quelques emplâtres, et de les poser. Je ne veux pas de médecin ; le secret avant tout.

— Une, deux, trois, il en faut au moins six, dit la petite ouvrière.

— Cela me fait assez de mal, pleurnicha Fledgeby pour en avoir soixante. »

Miss Wren, les ciseaux à la main, se rendit à la cuisine, trouva le papier gris, y tailla une demi-douzaine d’emplâtres, et les mit infuser dans le vinaigre. Au moment de les prendre il lui vint une idée. « Si l’on y ajoutait du poivre ? seulement une