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L’AMI COMMUN.

mide, pour qu’il durât jusqu’à son retour et consommât moins de charbon pendant qu’elle serait dehors. Au petit coup que mister Riah frappa sur le carreau, elle sortit du rêve solitaire où elle était plongée, et, prenant sa canne, elle alla ouvrir au vieillard.

« Bonsoir, marraine, » lui dit-elle en souriant.

Le vieux Juif se mit à rire et lui offrit son bras.

« Vous n’entrez pas vous chauffer, marraine ?

— C’est inutile, chère Cendrillon, à moins que vous ne soyez pas prête.

— Très-bien ! s’écria miss Wren d’un air enchanté ; vous êtes un enfant plein de finesse ; si nous donnions des prix dans cette maison, vous auriez la médaille d’or pour m’avoir si bien renvoyé la balle ; mais nous ne tenons que les choux blancs. »

Tout en parlant de ce ton joyeux, miss Wren ôta la clef de la serrure et la mit dans sa poche. Elle fit claquer la porte, la repoussa deux ou trois fois pour voir si elle était bien fermée ; puis, ayant acquis la certitude que sa demeure était close, elle prit le bras du vieillard, et se disposa à faire usage de sa petite canne. Mais la clef avait de telles proportions, qu’avant de partir le bon Juif proposa de se charger de cet objet volumineux.

« Non, non, non, dit la petite personne, il faut que je la porte moi-même ; je penche à gauche, vous savez bien ; en la mettant à droite, cela rétablit l’équilibre ; comme cela le bâtiment est lesté. Ma poche est même placée tout exprès du côté qui s’enlève ; je vous le dis en confidence, marraine. » Et ils se mirent en marche au milieu du brouillard. « C’est vraiment très-fin de m’avoir devinée tout de suite, reprit la petite ouvrière d’un air approbateur. Mais vous ressemblez tant à la marraine des contes de fées, vous êtes si différent des autres ! On dirait si bien que vous avez changé de forme, et que vous venez de prendre celle-ci tout juste pour rendre service à quelqu’un. Bouh ! s’écria-t-elle en regardant en dessous la figure du vieillard, je vois vos traits, marraine, derrière la grande barbe qui les cache.

— Ma puissance va-t-elle jusqu’à transformer autre chose ? demanda le bon Juif.

— Ah ! marraine ! si vous vouliez seulement prendre ma canne, et en toucher cette pierre boueuse, il en sortirait une voiture à six chevaux. Laissez-moi le croire, marraine.

— De tout mon cœur, répondit le vieillard.

— Puis autre chose, marraine ; soyez assez bonne pour toucher de votre baguette mon vilain fils, et pour le changer de manière à ce qu’il n’en reste rien. Il a été si mauvais, si mauvais dans ces derniers temps ! Il me rend si malheureuse ! c’est à en