Page:Dickens - L'embranchement de Mugby, 1879.djvu/30

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nir dans la limite de l’heure du dîner ; j’emportais donc mon repas, quand je n’achetais point dans une boutique du voisinage un pain de deux sous, avec une petite portion de bœuf ou un peu de fromage. J’arrosais cela d’un verre de bière pris dans un misérable vieux cabaret, de l’autre côté du chemin, à l’enseigne du Cygne, autant que je puis m’en souvenir. »

Il était si petit pour son âge et il avait l’air si pauvre avec ses habits râpés, que les gens qui ne le connaissaient pas ne se fussent point souciés de lui verser de la bière. Certain soir, il voulut célébrer l’anniversaire de sa naissance ou quelque autre date mémorable en demandant un verre d’ale, et de la meilleure. Le cabaretier le toisa des pieds à la tête par-dessus son comptoir avec un singulier sourire ; puis il appela sa femme.

« Je les vois encore, racontait Dickens : le cabaretier, en manches de chemise, sa femme sur le seuil de l’arrière-boutique, son ouvrage à la main, et moi tout confus de leur curiosité, répondant de mon mieux aux questions sur mon nom, mon âge, ma demeure, mon métier, de manière à ne compromettre personne. Ils me servirent de l’ale qui n’était pas, je crois, des plus fortes, et la cabaretière, se baissant, me donna un baiser dans lequel il y avait de l’étonnement et de la compassion, mais d’abord beaucoup de bonté féminine…