Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/177

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vous parler. Non que je rougisse de lui (elle se hâta d’essuyer ses yeux), mais parce que je le connais mieux que personne, au contraire ; c’est parce que je l’aime et que je suis fière de lui. »

Soulagée de ce fardeau moral, la petite Dorrit commença à être un peu agitée et à s’inquiéter de l’heure. Maggy étant parfaitement réveillée et occupée à dévorer des yeux, à distance, avec une jouissance anticipée, les fruits et les gâteaux, Clennam chercha à calmer de son mieux la petite mère en versant du vin à la grosse enfant. Maggy le but avec une série de claquements de langue assez bruyants, après chacun desquels elle posait la main sur son gosier et disait, d’une voix essoufflée et les yeux plus arrondis que jamais : « Oh ! comme c’est délicieux ! comme ça ressemble à l’hôpital. » Lorsqu’elle eut achevé le vin et ses éloges, Clennam l’engagea à charger son panier (Maggy ne marchait jamais sans son panier) de tous les comestibles qui se trouvaient sur la table, en lui recommandant d’avoir bien soin de ne rien laisser. Le plaisir avec lequel Maggy exécuta cet ordre, et le plaisir que la petite mère prenait à voir son bonheur, étaient bien la digne clôture d’une si douce entrevue.

« Mais la grille est fermée depuis longtemps, s’écria Clennam, se rappelant tout à coup ce fait. Où donc irez-vous ?

— Je vais chez Maggy, répondit la petite Dorrit. J’y serai très bien gardée et très bien soignée.

— Il faut que je vous accompagne jusque-là, dit Clennam. Je ne puis vous laisser aller seule.

— Si, je vous prie de nous laisser partir seules. Je vous en prie ! » répliqua la petite Dorrit d’un ton suppliant.

Elle avait mis tant d’ardeur à formuler sa pétition que Clennam sentit que ce serait manquer de délicatesse que d’insister davantage : d’autant plus qu’il comprenait très bien que la demeure de Maggy ne devait pas être des plus brillantes.

« Allons, Maggy, fit gaiement la petite Dorrit, nous nous en tirerons bien ; nous savons le chemin maintenant, n’est-ce pas, Maggy ?

— Oui, oui, petite mère ; nous savons le chemin, » dit Maggy en ricanant.

Et les voilà parties. La petite Dorrit, arrivée auprès de la porte, se retourna pour dire : « Que Dieu vous bénisse ! » Elle prononça ces paroles très bas, mais peut-être les entendit-on là-haut aussi bien, qui sait ? mieux encore que si elles eussent été psalmodiées en chœur par tous les chantres d’une cathédrale.

Arthur Clennam attendit qu’elles eussent tourné le coin de la rue avant de les suivre à distance ; non qu’il eût la moindre idée d’éprouver une seconde fois la petite Dorrit, mais pour être certain qu’elle avait gagné saine et sauve le quartier auquel elle était habituée. Elle semblait si petite, si frêle et si mal abritée par ses vêtements contre ce temps froid et humide, qu’en la voyant disparaître sous l’ombre pesante de sa protégée, plein de pitié pour elle et habitué à la séparer dans sa pensée des autres grossiers habitants