Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/189

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s’éloigna aussi silencieusement et aussi vite que possible, redescendit l’escalier aussi rapidement qu’elle l’avait monté, reprit sa place devant la cheminée, releva de nouveau la jupe de sa robe, et enfin se couvrit la tête de son tablier. Puis la sonnette résonna une fois, deux fois, trois fois, et continua de s’agiter ; mais, en dépit de cet appel importun, Mme Jérémie demeura immobile, la tête sous son tablier, cherchant à reprendre haleine…

Enfin un pas traînard se fit entendre dans l’escalier conduisant au vestibule, et M. Jérémie descendit en grommelant et en appelant tout le long du chemin : « Affery, femme ! » Comme Mme Jérémie continuait à se cacher dans son tablier, il arriva dans la cuisine, chandelier en main, s’approcha de sa femme en marchant de profil, enleva le tablier et la réveilla.

« Oh ! Jérémie, s’écria-t-elle au sortir de son rêve, quelle peur tu m’as faite !

— Que diable fais-tu là ? Voilà cinquante fois qu’on te sonne.

— Oh ! Jérémie, c’est que j’ai fait un rêve. »

Se rappelant le dernier exploit somnambulesque de son épouse, M. Flintwinch approcha la chandelle de la tête de Mme Jérémie, comme s’il avait quelque idée d’y mettre le feu pour illuminer la cuisine.

« Ne sais-tu pas que c’est l’heure de lui servir son thé ? demanda-t-il avec un méchant ricanement en donnant un coup de pied à la chaise de Mme Jérémie.

— Jérémie, quel thé ? Je ne sais pas ce que j’ai, mais je viens d’avoir une si terrible frayeur, Jérémie, avant de… commencer à rêver, que je crois que ça vient de là.

— Fi donc ! paresseuse ! cria M. Jérémie. De quoi viens-tu me parler là ?

— Un bruit si étrange, Jérémie, et un si drôle de mouvement, ici, dans la cuisine, à cet endroit ! »

Jérémie souleva la chandelle et regarda le plafond noirci ; Jérémie baissa la chandelle et regarda les pavés humides du parquet, puis, tournant sur lui-même, il regarda les murs salis et maculés.

« Des rats, des chats, de l’eau, des gargouilles, » dit Jérémie.

Mme Jérémie, à chacune de ces propositions, secoua la tête comme si ce n’était pas cela.

« Non, Jérémie, ce n’est pas la première fois que j’entends cela. Je l’ai déjà entendu en haut et une autre fois sur l’escalier tandis que j’allais de sa chambre à la nôtre au milieu de la nuit ; c’était quelque chose qui frôlait et tremblait derrière moi et qui me touchait presque.

— Affery, ma femme, dit M. Flintwinch d’un air sinistre, après avoir avancé son nez tout près des lèvres de sa dame comme pour s’assurer que l’haleine ne trahissait pas l’absorption de quelque liqueur alcoolique, si tu ne sers pas le thé en deux temps, ma vieille, tu vas sentir un frôlement et un attouchement qui t’enverront à l’autre bout de la cuisine. »