Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/236

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— Je voulais te voir, ma chère Fanny, et comme toute ma journée de demain est prise, et que je savais que tu serais occupée ici jusqu’à ce soir, j’ai pensé…

— La drôle de chose de te voir dans les coulisses ! Je ne m’attendais pas à cela, par exemple ! »

Tout en faisant cette réflexion d’un ton de bienvenue fort peu cordial, Fanny conduisit sa sœur vers un endroit du nuage où la poussière était moins épaisse, où l’on voyait une masse de chaises et de tables dorées entassées les unes sur les autres, et où une foule de jeunes filles assises sur tout ce qui pouvait servir de siège, bavardaient à qui mieux mieux. Toutes ces demoiselles avaient besoin d’un coup de fer, et rien n’était plus drôle que la mobilité constante de leurs œillades à droite et à gauche, en jacassant.

Au moment où les deux sœurs arrivaient, un jeune garçon insipide, coiffé d’une casquette écossaise, passa la tête derrière une poutre à gauche, en disant : « Pas tant de bruit, par là, mesdames ! » puis disparut. Immédiatement après, un gentleman assez sémillant, doué d’une abondance de longs cheveux noirs, passa la tête derrière une poutre à droite, en disant : « Pas tant de bruit, mes amours ! » et disparut également.

« Quelle idée de te voir parmi nous autres artistes, Amy ! tu es bien la dernière à qui j’eusse pensé ! dit la sœur. Comment as-tu donc fait pour arriver jusqu’ici ?

— Je ne sais pas. La dame qui t’a dit que j’étais ici a été assez bonne pour me servir de guide.

— Voilà bien ces petites sainte-nitouche qui se faufilent partout ! Ce n’est pas moi qui aurais pu jamais y réussir, Amy, et pourtant je connais le monde bien mieux que toi. »

C’était l’habitude de la famille de poser en fait irrécusable qu’Amy était un petit être paisible et casanier, qui n’avait rien de la grande et sage expérience de ses parents. Cette fiction de la famille Dorrit était une ruse de guerre imaginée par elle pour ne pas se sentir écrasée par les services de la jeune fille, dont on ne voulait pas avoir l’air de faire trop de cas.

« Eh bien ! Et qu’est-ce que tu as qui te tourmente, Amy ? Car il faut qu’il y ait quelque chose qui te tourmente sur mon compte ? » demanda Fanny.

Elle avait l’air de traiter sa sœur, qui avait deux ou trois ans de moins qu’elle, comme une grand’mère acariâtre.

« Ce n’est pas grand’chose ; mais depuis que tu m’as parlé de la dame qui t’a donné ce bracelet… »

Le garçon insipide, passant la tête derrière la poutre de gauche, cria : « Attention, mesdames ! » et disparut. Le gentleman sémillant, à la chevelure noire, passant la tête derrière la poutre de droite, cria : « Attention, mes amours ! » et disparut de même.

Sur ce, toutes les demoiselles se levèrent, et commencèrent à secouer le derrière de leurs jupes.