Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/239

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lorsque nous serons débarrassés de notre oncle, je te dirai tout. Nous allons le laisser chez le gargotier où il va dîner. »

Ils continuèrent tous trois à s’avancer jusqu’à ce qu’ils furent arrivés dans une sale rue où ils s’arrêtèrent devant la sale montre d’une boutique de rôtisseur, dont les vitres étaient rendues opaques par la vapeur des viandes, des légumes et des puddings chauds. On pouvait, néanmoins, entrevoir un gigot de porc rôti qui versait des larmes imprégnées de sauge et d’oignon dans un réservoir métallique rempli de sauce ; un énorme et onctueux roast-beef au-dessous duquel un Yorkshire-pudding rissolait dans une lèchefrite ; un filet de veau farci qui disparaissait par tranches rapides ; un jambon qui s’en allait si vite qu’il en suait ; une platée de pommes de terre cuites à l’eau, toutes gluantes, une botte ou deux de choux verts bouillis et autres friandises substantielles. À l’intérieur, se trouvaient divers compartiments en bois assez semblables aux stalles d’une écurie, où les pratiques, qui trouvaient plus commode d’emporter leur dîner dans leur estomac que de le tenir à la main jusque chez elles, se lestaient dans leur coin. Fanny ouvrant son ridicule à la vue de ces richesses gastronomiques, tira de ce trésor un shilling qu’elle remit à son oncle. Celui-ci, après avoir regardé quelque temps la pièce de monnaie, devina ce qu’il devait en faire, et marmottant : « Dîner ? ah ! oui, oui, oui, » quitta ses nièces et disparut lentement dans le brouillard culinaire.

« Maintenant, Amy, dit la sœur aînée, viens avec moi, si tu n’es pas trop fatiguée pour marcher jusqu’à Harley-Street, Cavendish-Square. »

La façon dont elle prononça cette adresse aristocratique et releva d’un coup de tête son chapeau neuf (plus coquet que solide) étonna la petite Dorrit, qui répondit pourtant qu’elle était prête à l’accompagner jusqu’à Harley-Street, et elles dirigèrent leurs pas de ce côté. Arrivées dans cet élégant voisinage, Fanny s’arrêta devant la plus belle maison de la rue, et, frappant à la porte, demanda Mme Merdle. Le valet qui ouvrit la porte, quoiqu’il eût les cheveux poudrés, et se trouvât flanqué de deux autres valets poudrés comme lui, loin de refuser la porte, déclara tout de suite que Mme Merdle était chez elle, et pria même Fanny de vouloir bien entrer. Fanny entra, accompagnée de sa sœur ; elles montèrent jusqu’au premier étage, précédées d’une tête poudrée et laissant les deux autres au bas de l’escalier ; là, elles attendirent dans un grand salon semi-circulaire, faisant partie d’une suite de salons, où un perroquet, en train de se promener à l’extérieur d’une cage dorée, s’y accrochait par le bec, ses jambes écailleuses en l’air, prenant une foule de poses bizarres à la renverse. C’est une disposition qui n’est pas particulière aux perroquets : on la trouve également chez d’autres oiseaux sans plumes qui prennent volontiers cette attitude pour grimper le long des fils dorés qui les attirent.

Le salon était beaucoup plus magnifique que tout ce que la petite Dorrit avait imaginé ; il aurait paru magnifique et somptueux aux