Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/275

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lui-même, et suivit avec une expression de bonté ineffable, laissant derrière lui sa fille, qui, au moment de s’éloigner à son tour, avait encore saisi cette occasion pour glisser à l’oreille de son ex-soupirant, d’une voix mystérieuse, qu’ils avaient bu jusqu’à la lie la coupe de la vie, et pour insinuer vaguement que c’était feu M. Finching qui se trouvait au fond de cette coupe amère.

Resté seul, Arthur Clennam sentit se réveiller en lui ses premières inquiétudes relativement à sa mère et à la petite Dorrit, et repassa dans son esprit ses anciens doutes et ses anciens soupçons. Tandis qu’il y rêvait nonchalamment, tout en s’occupant de ses comptes, une ombre qui se projeta sur ses papiers lui fit lever la tête pour en chercher la cause. La cause était M. Pancks. Le chapeau rejeté sur les oreilles comme si ses cheveux roidis se fussent redressés ainsi que des ressorts pour repousser leur coiffure, avec des points d’interrogation dans ses petits yeux de jais, les doigts de la main droite dans sa bouche afin de se mordre les ongles, et les doigts de la main gauche tenus en réserve dans une des poches pour une autre occasion, M. Pancks projetait son ombre sur les registres et les papiers à travers les vitres du bureau.

M. Pancks demanda avec un petit geste de sa tête noire, s’il pouvait rentrer. Clennam répondit par un signe de tête affirmatif. M. Pancks arriva en soufflant, fit voile vers le pupitre de Clennam, y amarra ses coudes et commença la conversation par un reniflement et un ronflement.

« La tante de M. Finching est plus calme, j’espère ? demanda Clennam.

— Oui, oui, monsieur.

— J’ai le malheur d’avoir excité dans l’esprit de cette dame une animosité extrême. Savez-vous pourquoi ?

— Le sait-elle elle-même ?

— Je présume que non.

— Je le présume aussi. »

Pancks prit son carnet, l’ouvrit, le referma, le laissa tomber dans son chapeau posé à côté de lui sur le bureau et contempla le fond du chapeau : tout cela d’un air très réfléchi.

« M. Clennam, dit-il enfin, j’ai besoin de renseignements.

— Au sujet de la fonderie ?

— Non, répondit Pancks.

— Alors sur quoi, M. Pancks ? Est-ce bien à moi que vous voulez demander ces renseignements ?

— Oui, monsieur, oui, c’est bien à vous que je veux les demander, dit Pancks, si toutefois je puis vous décider à me les donner, A, B, C, D, DA, DE, DI, DO. Ordre alphabétique, Dorrit. Voilà le nom, monsieur. »

M. Pancks se livra de nouveau à ce reniflement spécial qui n’appartenait qu’à lui, et continua à se repaître des ongles de sa main droite, Arthur le regarda d’un air scrutateur et Pancks lui répondit par un regard pareil.