Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/297

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Mlle Rugg entourée de la protection imposante de la loi, et forte de ses dommages et intérêts placés dans les fonds publics, jouissait de la considération générale.

C’est dans la société de M. Rugg, avec son visage rond devenu tout blanc à force d’avoir eu à rougir et sa chevelure jaune, hérissée comme un plumeau usé, et dans la société de Mlle Rugg avec son visage couvert de taches de nankin grosses comme des boutons de chemise et dont la chevelure blond-filasse était plus sale qu’abondante, que M. Pancks dînait ordinairement tous les dimanches depuis plusieurs années, pendant lesquelles il avait également partagé avec eux, une ou deux fois par semaine, divers festins nocturnes de pain, de fromage de Hollande et de porter. M. Pancks était un des rares célibataires à qui Mlle Rugg n’inspirait aucune terreur. Il avait deux arguments pour se rassurer : « D’abord, se disait-il, ça ne prendrait pas une seconde fois et ensuite je n’en vaux pas la peine. » Protégé par cette double cuirasse, M. Pancks adressait en toute sécurité des reniflements familiers à Mlle Rugg.

Jusqu’à présent M. Pancks s’était fort peu occupé d’affaires dans son logis de Pentonville où il ne faisait guère que dormir ; mais maintenant qu’il jouait le rôle d’un diseur de bonne aventure, il restait souvent enfermé jusqu’à minuit dans le petit bureau officiel de M. Rugg, complotant avec son propriétaire ; et même, après cette heure indue, il brûlait encore de la chandelle dans sa propre chambre. Bien que ses occupations comme factotum du patriarche fussent tout aussi lourdes que par le passé et ne pussent se comparer à un lit de roses qu’en raison de leurs nombreuses épines, il était clair que quelque nouvel emploi exigeait de sa part des soins continuels. Lorsqu’il se débarrassait du patriarche jusqu’au lendemain, ce n’était que pour s’amarrer à quelque navire anonyme qu’il remorquait vers un port inconnu.

Après avoir lié connaissance avec M. Chivery le père, peut-être avait-ce été chose facile pour Pancks de faire connaissance avec l’aimable Mme Chivery et l’inconsolable John ; mais que ce fût facile ou non, il n’avait pas tardé à y réussir. Une semaine ou deux après sa première apparition dans la cour de la prison, il était aussi à son aise dans le petit débit de tabac que s’il était chez lui. Il s’était surtout efforcé de captiver les bonnes grâces du jeune John. Il finit même par persuader à l’amoureux berger d’abandonner ses humides bosquets pour se charger de diverses missions mystérieuses.

Le jeune John commença à faire, à des intervalles irréguliers, des absences qui duraient parfois jusqu’à quatre jours consécutifs. La prudente Mme Chivery, que la métamorphose de son fils étonnait beaucoup, aurait pu protester contre ces absences de John qui faisaient tort au commerce du montagnard écossais, mais elle avait deux raisons concluantes de ne point s’en plaindre.

1o John sortait de son abrutissement et s’intéressait à l’affaire pour laquelle s’effectuaient ces voyages ; ce que Mme Chivery