Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/383

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L’escalier délabré qui s’empressait toujours de crier dès que quelqu’un montait ou descendait, se mit à craquer sous un pas rapide ; puis on entendit bientôt un autre bruit, semblable à celui d’une petite machine à vapeur trop chauffée se dirigeant vers la chambre. À mesure qu’elle s’approchait (et elle s’avançait à grande vitesse) elle semblait se presser davantage : on frappa à la porte. Alors on eût dit que la machine se baissait et lâchait sa vapeur par le trou de la serrure.

Avant que Maggy eût eu le temps d’ouvrir, M. Pancks poussant lui-même la porte, parut sur le seuil, sans chapeau et la tête nue dans un état d’ébouriffement incroyable, regardant Clennam et la petite Dorrit. Il avait à la main un cigare allumé, et apportait avec lui un parfum d’ale et de tabac.

« Pancks le bohémien, murmura-t-il tout essoufflé, Pancks le bohémien, disant la bonne aventure. »

Il se tint immobile, leur adressant un noir sourire, ronflant plus fort encore que d’habitude, et les dévisageant d’un air étrange. On eût dit qu’au lieu d’être tout simplement le factotum de son vénérable propriétaire, le remorqueur était devenu lui-même le propriétaire de la prison de la Maréchaussée, de tous les détenus et de tous les guichetiers. Dans son contentement il porta son cigare à ses lèvres (on voyait tout de suite que Pancks n’était pas un fumeur) et en tira une telle bouffée, après avoir fermé son œil droit bien hermétiquement afin de se donner plus de force, qu’il se mit à frissonner et parut sur le point de s’étrangler. Mais, même au milieu de ce paroxysme, il essaya de répéter sa phrase d’introduction favorite : « Pa…ancks le bo…o…hémien disant la bonne a…aventure. »

« Je suis en train de passer la soirée avec les autres, continua-t-il, dès qu’il se fut un peu remis. Je viens de chanter. J’ai fait la partie de contralto dans je ne sais quel morceau. La musique, ça n’est pas mon affaire à moi. C’est égal ! Je ferai ma partie dans tout ce qu’on voudra. Pas besoin de savoir la musique, pourvu que vous criiez assez fort. »

Au premier abord, Clennam avait cru que Pancks le bohémien avait trop bu. Mais il ne tarda pas à reconnaître que bien que l’ale entrât pour quelque chose dans l’émotion du remorqueur, le fond même de cette émotion ne provenait d’aucune brasserie, ni d’aucune distillerie.

« Comment vous portez-vous, mademoiselle Dorrit ? demanda Pancks. J’ai pensé que vous ne m’en voudriez pas si je montais un instant pour m’informer de vos nouvelles. J’ai su par M. Dorrit que M. Clennam était ici. Comment allez-vous, Monsieur ?

— Très-bien, je vous remercie, répondit Clennam ; je suis heureux de vous voir si gai, monsieur Pancks.

— Gai ?… Plus gai qu’un pinson, monsieur !… Je n’ai qu’une minute à vous donner, autrement les autres s’apercevraient de