Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/144

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donnait qu’une médiocre satisfaction. Je crois même me rappeler que je me regardais moi-même comme une espèce d’ours ou quelque autre bête sauvage. Cependant, je m’habillai en essuyant par intervalle mon visage sanglant, et je lui dis :

« Puis-je vous aider ? »

Et il me répondit :

« Non, merci ! »

Ensuite, je lui dis :

« Je vous souhaite une bonne après-midi. »

Et il me répondit :

« Moi de même. »

En arrivant dans la cour, je trouvai Estelle, attendant avec ses clefs ; mais elle ne me demanda ni où j’avais été, ni pourquoi je l’avais fait attendre. Son visage rayonnait comme s’il lui était arrivé quelque chose d’heureux. Au lieu d’aller droit à la porte, elle s’arrêta dans le passage pour m’attendre.

« Viens ici !… tu peux m’embrasser si tu veux. »

Je l’embrassai sur la joue qu’elle me tendait. Je crois que je serais passé dans le feu pour l’embrasser ; mais je sentais que ce baiser n’était accordé à un pauvre diable tel que moi que comme une menue pièce de monnaie, et qu’il ne valait pas grand’chose.

Les visiteurs, les cartes et le combat m’avaient retenu si longtemps que, lorsque j’approchai de la maison, les dernières lueurs du soleil disparaissaient derrière les marais, et le fourneau de Joe faisait flamboyer une longue trace de feu au travers de la route.

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